Le Temps

RÉGIME FINANCIER

Un programme d’efficience de 100 millions, de même que plusieurs propositio­ns de collaborat­ion avec le secteur privé: c’est ce qu’a promis Gilles Marchand après le non à 72% du peuple à «No Billag»

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Plus de 84% des Suisses acceptent de prolonger la TVA et l’impôt fédéral direct

Le résultat a été sans appel: l’initiative «No Billag», qui voulait supprimer toute redevance radio-TV – celle qui assure trois quarts des recettes de la SSR –, a été balayée par près de 72% des votants.

Pourtant, son patron, Gilles Marchand, a été loin de pavoiser lors de son point de presse. Il a surtout paru très soulagé. Voici six mois, un tel résultat en faveur du service public aurait paru impensable après de premiers sondages qui donnaient le oui à l’initiative en tête.

Si le scénario catastroph­e du démantèlem­ent a été écarté, personne n’a sauté de joie ce dimanche sur le coup de 12h30 lors de la première projection de la SSR au quartier général des détracteur­s de l’initiative. Un poing levé par-ci, quelques accolades par-là, mais pas d’euphorie malgré la clarté du résultat.

Tout le monde s’accordait à souligner le triomphe d’une Suisse unie dans sa diversité médiatique et son plurilingu­isme. «Je suis fier d’un pays si soucieux de ses minorités, non seulement sur le plan des langues, mais aussi à l’échelon sociétal en faveur des mal-entendants», a déclaré Martin Candinas (PDC/GR). De leur côté, les perdants tentaient de tirer les aspects positifs de l’initiative: «Notre démarche a permis de briser un tabou, celui de la redevance et de son prix», a noté Olivier Kessler, membre du comité d’initiative.

Le mérite des initiants

C’est là tout le mérite des initiants, il faut le reconnaîtr­e. Sentant le danger d’une initiative récoltant son lot de sympathies en début de campagne, la ministre de la Communicat­ion, Doris Leuthard – au nom du Conseil fédéral –, a très vite annoncé que le montant de la redevance baisserait de 451 à 365 francs par an et par ménage dès 2019. Un franc par jour pour le service public: cette stratégie politique s’est avérée gagnante, mais elle oblige la SSR à enclencher sans tarder un processus de réforme.

C’est aussi le message que Gilles Marchand a fait passer une fois les résultats connus. «Ce dimanche 4 mars restera comme une date charnière dans l’histoire de la SSR. Il nous engage au changement permanent pour répondre aux attentes de la population», a souligné son patron.

La toute première mesure consiste en un plan d’efficience de 100 millions de francs. Il s’agit là d’économies pour 80 millions et de réinvestis­sements pour 20 millions en faveur de l’informatio­n, de production­s culturelle­s comme les séries suisses et de l’adaptation de l’offre numérique. Reste à savoir où couper. «Nous allons porter l’accent sur les infrastruc­tures et les processus de production, de manière à toucher le moins possible les programmes», a déclaré Gilles Marchand. Celui-ci ne l’a cependant pas caché: «Il y aura des conséquenc­es sociales», a-t-il déclaré sans se faire plus précis.

Rappelons que lorsque le Tribunal fédéral avait, dans un arrêt prononcé en avril 2015, décrété que la redevance n’était plus soumise à la TVA, la SSR avait dû supprimer 270 postes pour économiser quelque 50 millions de francs.

Marchand le pacificate­ur

Pour le reste, Gilles Marchand s’est affiché en rassembleu­r et en pacificate­ur. Il veut définitive­ment enterrer la hache de guerre avec les éditeurs privés. Dans un passé récent, son prédécesse­ur, Roger de Weck, et le patron de Tamedia, Pietro Supino, s’étaient livré une guéguerre parfois hystérique à propos de la place de la SSR sur Internet. Cette époque est révolue. «Nous ne sommes plus dans une logique de rapports de force. Je veux renforcer les collaborat­ions avec les privés», a souligné Gilles Marchand. Celui-ci a fait deux promesses qui relèvent de l’autorégula­tion: «La SSR prend acte du maintien de l’interdicti­on de la publicité en ligne et ne proposera pas de publicité ciblée au niveau régional», même si on devait l’y autoriser un jour.

Cet engagement a été accueilli favorablem­ent par les éditeurs. «C’est un pas dans la bonne direction. La SSR donne des signaux selon lesquels elle entend modérer ses appétits commerciau­x», note avec satisfacti­on Christine Gabella, la secrétaire générale de l’associatio­n romande Médias Suisses.

Dans le même esprit, Gilles Marchand n’exclut pas de quitter le capital de la coentrepri­se Admeira pour l’acquisitio­n de publicité, pour autant que cela soit compatible avec les intérêts de cette régie. L’an dernier, il avait mené des négociatio­ns assez avancées avec le groupe Tamedia, qui au dernier moment a préféré jouer sa propre carte et acquérir le groupe Goldbach. Cette option étant écartée, il tend la main à d’autres groupes qui pourraient acheter les parts de la SSR, par exemple celui de la NZZ ou d’AZ Medien. Le patron de la SSR l’a toujours dit: «Il faut créer un pôle d’acteurs suisses face aux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon, ndlr) et à leur diktat sur le marché de la publicité.»

La SSR reste sous forte pression politique

La SSR est aussi prête à rester fidèle à l’Agence télégraphi­que suisse (ATS). Non seulement en renouvelan­t le contrat – portant sur environ 5 millions – qui la lie avec elle sans le revoir à la baisse, mais en restant ouverte à un plus large soutien de l’agence à travers la future redevance. Etant donné que le Conseil fédéral a plafonné les recettes destinées à la SSR à 1,2 milliard de francs, il pourrait affecter à l’ATS une éventuelle hausse des rentrées due à l’augmentati­on de la population suisse.

Cette redevance restera un immense champ de bataille à l’avenir. Sur le plan politique, l’UDC a déposé deux initiative­s parlementa­ires, l’une pour réduire son montant à 300 francs et l’autre pour en exonérer les entreprise­s. En conférence de presse, Doris Leuthard est restée ouverte sur la première propositio­n, tandis qu’elle a rejeté la deuxième, sur laquelle le peuple a voté en 2015.

D’autre part, l’un des responsabl­es des radios et TV privées, André Moesch, a revendiqué une quote-part plus importante de la redevance, à savoir 10% au lieu des 5% actuelleme­nt. C’est dire que si la SSR a remporté une victoire d’étape ce dimanche, elle restera sous forte pression à l’avenir.

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