En Syrie, «nourriture et savon» contre faveurs sexuelles
Une humanitaire qui a travaillé dans des camps de réfugiés syriens a confié à la BBC que des femmes sont contraintes d’offrir des faveurs sexuelles pour bénéficier de l’aide humanitaire
Les organisations humanitaires «ont choisi de sacrifier le corps des femmes». Danielle Spencer ne mâche pas ses mots. Elle dénonce les cas d'exploitation et d'abus sexuels contre les Syriennes. Dans une vidéo publiée mardi dernier par la BBC, l'humanitaire dévoile que depuis le début de la guerre, des femmes ont été contraintes à offrir des faveurs sexuelles à des travailleurs humanitaires en échange de «nourriture, de savon et de produits de première nécessité». Les femmes ont confié à Danielle Spencer que ces humanitaires travaillent pour des «collectivités locales» partenaires des Nations unies et d'organisations caritatives.
Après la publication de la vidéo, Andrej Mahecic, porte-parole du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), a réagi aux accusations. «Abuser et exploiter quelqu'un qui est dans le besoin d'assistance est odieux, déshumanisant. C'est quelque chose que nous condamnons sans réserve», souligne-t-il.
D'après Danielle Spencer, qui a travaillé dans des camps de réfugiés syriens, le phénomène est tellement répandu qu'une femme se trouvant aux points de distribution est supposée être prête à «une activité sexuelle en échange d'aide».
Un rapport du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), publié fin 2017, dresse le même constat. Dans des gouvernorats syriens, des femmes et des filles ont été «temporairement mariées à des employés» d'organisations humanitaires pour des «services sexuels» afin qu'elles puissent recevoir «des repas». Des travailleurs humanitaires locaux proposent aux femmes «d'obtenir l'aide humanitaire en échange d'une visite chez elles» ou «de services tels que passer la nuit avec elles».
Les agences humanitaires «ont fermé les yeux»
Ces formes de «chantage» à caractère sexuel sont devenues endémiques. Certaines femmes décident ne pas avoir recours à la moindre aide afin d'éviter d'être sexuellement harcelées. Parallèlement, elles craignent d'être stigmatisées et que leur «réputation soit ternie». Sans être accompagnées par un homme, les femmes et les filles ont difficilement accès à l'aide humanitaire de manière sûre. Les plus vulnérables face au risque d'exploitation et d'abus sexuels sont les «veuves, les divorcées et les femmes déplacées».
Le 22 février, Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, a fait le point sur les cas d'exploitation et d'abus sexuels. Entre le 1er octobre et le 31 décembre, 2017, les organisations onusiennes et partenaires locaux ont fait l'objet d'un total de quarante plaintes pour exploitation et abus sexuels. Toutes n'ont pas encore été vérifiées. Il précise que de tels cas «ne reflètent pas la conduite de la majorité» des humanitaires et que chaque «allégation compromet [les] valeurs et principe» portés par les Nations unies.
Les cas d'exploitation et d'abus sexuels en Syrie ont été largement «ignorés» par les organisations humanitaires. Selon Danielle Spencer, il a été décidé que «le corps des femmes [soit] utilisé, abusé et violenté pour que l'aide soit livrée à un plus large groupe de personnes». Un autre employé a confié à la BBC que les agences humanitaires «ont fermé les yeux» sur ces dérives sexuelles car les organisations locales sont les seules à parvenir à fournir de l'aide dans les régions dangereuses de la Syrie.
▅