Les Corées marginalisent Washington
La diplomatie américaine a été prise de court par le dégel entre Séoul et Pyongyang
Vendredi 2 mars a été le dernier jour de travail de Joseph Yun, représentant spécial américain pour la Corée du Nord. A 63 ans, ce diplomate de carrière a décidé de prendre sa retraite, officiellement pour «raisons personnelles» mais, dans les faits, ce partisan du dialogue s’est heurté à une Maison-Blanche bloquée sur la ligne dure concernant le dossier nord-coréen.
Cet homme, qui a passé trois décennies au service de la diplomatie américaine, s’est notamment illustré en maintenant ouvert, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, le «canal de New York»: des rencontres informelles qui lui permettaient d’échanger avec le responsable de la mission nord-coréenne auprès des Nations unies.
L’annonce de son départ intervient après que des officiels nord-coréens ont dit au président sud-coréen, après la cérémonie de clôture des JO d’hiver de Pyeongchang, que leur pays était prêt à dialoguer avec les Etats-Unis – sans toutefois évoquer la dénucléarisation. Or, pour Washington, celle-ci doit être l’objet principal, sinon exclusif, de toute discussion et, tant que ce n’est pas le cas, l’administration Trump campe sur une stratégie de «pression maximale».
C’est dans ce contexte que Joseph Yun a renoncé. Son départ intervient après que Victor Cha, le principal candidat au poste d’ambassadeur des Etats-Unis à Séoul, vacant depuis plus d’un an, a été écarté par la Maison-Blanche à la suite de sa présentation au gouvernement sud-coréen. Victor Cha, qui n’est pourtant pas une «colombe» puisqu’il avait participé à l’administration de George W. Bush, a osé dire tout le mal qu’il pensait de la théorie dite du «nez ensanglanté», l’idée de frappes préventives censées dissuader Pyongyang alors que Séoul n’est qu’à 50 km de la zone démilitarisée.
Ligne téléphonique d’urgence
Ces deux départs illustrent le malaise dans les cercles diplomatiques américains, qui voient l’administration Trump se marginaliser sur une ligne dure, tandis qu’au même moment la Corée du Sud rétablit le dialogue avec Pyongyang. Ainsi, dans son discours du Nouvel An, le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, avait saisi la main tendue par le président sud-coréen, Moon Jae-in, élu en mai 2017 et partisan du dialogue.
Depuis, une ligne téléphonique d’urgence a été rétablie entre les deux Corées, des athlètes du Nord se sont rendus aux JO et la soeur de Kim Jong-un a transmis à Moon Jae-in une invitation à se rendre à Pyongyang. «L’administration américaine a été prise de court, Moon s’est emparé de l’initiative et l’administration Trump, qui ne comprend pas, juge de manière simpliste que Moon cède au Nord», explique Go Myong-hyun, chercheur à l’institut d’études politiques Asan, basé à Séoul. Même si Moon Jae-in est un partisan du dialogue inter-coréen, auquel il travailla auprès des présidents progressistes Roh Moo-hyun et Kim Dae-jung, il y a cette fois été incité par la nécessité de garantir la sécurité sur la péninsule du fait des bravades de Donald Trump, qui répond du tac au tac sur Twitter aux provocations nord-coréennes.
Discours confus
Washington assiste désormais en spectateur à ce rapprochement. Les Etats-Unis campent sur leurs positions: ils demandent l’abandon d’une force de dissuasion que le régime nord-coréen voit comme la clé de sa survie et qui, quel que soit son degré de fiabilité, est déjà une réalité après six essais nucléaires et quatre tirs de missiles intercontinentaux. Cette posture irréaliste a été illustrée par l’image du vice-président Mike Pence, glacial, un rang devant la soeur de Kim Jong-un lors de la cérémonie d’ouverture des JO, et
Les Etats-Unis assistent désormais en spectateurs à ce rapprochement
qui a dû fuir le banquet pour ne pas la croiser. Le discours américain est confus: le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, a pu se dire prêt à un dialogue sans pré-conditions, mais la Maison-Blanche insiste sur le fait que la dénucléarisation doit être le but de toute discussion.
La diplomatie américaine ne peut plus qu’espérer que Moon Jae-in ne cédera pas à la tentation de se rendre à Pyongyang sans de solides concessions de la Corée du Nord. Evan Medeiros, directeur jusqu’en 2015 des affaires asiatiques au Conseil de sécurité nationale américain, veut voir en Moon Jae-in un «pragmatique», mais s’inquiète des «idéologues» de son entourage, prêts à tout pour un rapprochement inter-coréen, «sans réellement en comprendre le coût». «Moon Jae-in, si enthousiaste soit-il sur la poursuite du processus Nord-Sud, doit également être conscient du risque d’ouvrir une brèche dans l’alliance Etats-Unis-Corée du Sud. Il sait qu’il affaiblirait ainsi son levier sur la Corée du Nord», déclare Evan Medeiros.
Pour Go Myong-hyun, l’analyste de Séoul, les Etats-Unis ne pourront cependant que constater que l’option militaire est irréaliste et se résoudre à contrecoeur à s’engager sur la voie du dialogue ouverte par Moon Jae-in: «La logique de Moon Jae-in est d’attendre que les Etats-Unis réalisent qu’ils n’ont en fait pas d’autre option. Les alternatives des Etats-Unis sont désormais très restreintes», estime-t-il.
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