Le Temps

Afrique du Sud: «So help me God»

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Il est important de rendre hommage à deux figures du syndicalis­me en Afrique australe tant leurs parcours politiques se ressemblen­t, même si leurs destins divergent. Il s’agit de Morgan Tsvangirai, du Zimbabwe, mort d’un cancer à 65 ans dans un hôpital de Johannesbu­rg le 14 février, et Cyril Ramaphosa, ancien syndicalis­te, 65 ans également, devenu président de l’Afrique du Sud après la démission forcée de Jacob Zuma. Morgan Tsvangirai a lutté toute sa vie pour la démocratie et le multiparti­sme. Bête noire de Robert Mugabe, que ses sbires ont emprisonné à plusieurs reprises, il a été torturé et menacé de mort. Sa femme est ainsi décédée lors d’un accident provoqué par ses ennemis. En 2008, il avait gagné le premier tour des élections présidenti­elles et proposé une union nationale avec le parti de Mugabe, la Zanu-PF. Des violences ont alors éclaté, faisant 200 morts, ce qui l’a persuadé de se retirer.

L’ensemble de la classe politique a salué sa mémoire, à commencer par le président Emmerson Mnangagwa (ancien militaire), qui a succédé à Mugabe il y a trois mois. L’Union européenne a loué son courage. Tsvangirai est mort pauvre, alors que Mugabe reçoit une confortabl­e rente avec la promesse qu’on ne touchera pas à ses nombreuses propriétés dans un pays qu’il a ruiné.

Quant à Cyril Ramaphosa, Nelson Mandela l’avait pressenti pour lui succéder. Mais les vieux cadres de l’ANC (African National Congress) refusèrent, lui préférant Thabo Mbeki, plus manipulabl­e. Ramaphosa se tourna alors vers le privé, où il fit fortune, tout en restant fidèle à l’ANC, qui l’a élu président en décembre dernier. Il a ainsi barré la route à Nkosazana Dhlamini Zuma, ex-femme de Jacob Zuma et qui a présidé la Commission de l’Union africaine (20022014). Zuma a tout tenté pour qu’elle soit élue présidente de l’ANC afin de devenir présidente de l’Afrique du Sud et lui garantir en dernier ressort l’impunité. Car lui aussi était en train de dévaliser son pays avec la complicité de la famille indienne les Gupta. Le clan Zuma reste aux commandes de nombreux postes stratégiqu­es.

La prestation de serment de Ramaphosa était empreinte de modestie, d’humilité et du désir de faire du bien pour tous les Sud-Africains: «So help me God», a-t-il déclaré. Son discours sur l’Etat de la nation, devant le parlement au Cap, a été ovationné par tous les partis. Il a jusqu’aux prochaines élections en 2019 pour réussir son pari.

Pourquoi donc le destin de Tsvangirai a-t-il été si tragique alors que Ramaphosa a pu accéder à la présidence? C’est le problème de nombreux pays d’Afrique: RDC, Burundi, Guinée-Bissau, Cameroun, Tchad, etc. sacrifient les gens les plus compétents ainsi qu’une partie de leur jeunesse qui, faute de travail, doit émigrer. Ces présidents sont à l’écoute de multinatio­nales puissantes et de pays étrangers corrupteur­s qui les aident à se maintenir en place dans le but de bénéficier des faveurs nécessaire­s pour piller les ressources de ces pays.

En Afrique du Sud, la démocratie est désormais enracinée, les institutio­ns sont stables, la société civile bien éduquée. Si l’ANC a accepté de démissionn­er le président Zuma, c’est pour regagner des voix perdues par les extravagan­ces et les scandales de son gouverneme­nt. Cette victoire de la démocratie et de l’Etat de droit aura sans doute des répercussi­ons positives sur tout le continent qui aspire à une vraie indépendan­ce. C’est aussi ce que souhaite l’Union africaine.

En Afrique du Sud, la démocratie est désormais enracinée, les institutio­ns sont stables, la société civile bien éduquée

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CHRISTINE VON GARNIER SOCIOLOGUE ET JOURNALIST­E

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