Le Temps

Veuves et veufs: de fortes inégalités

- EMMANUEL GARESSUS @garessus

Le système des trois piliers réduit le choc financier du décès du conjoint. Mais les effets sur la consommati­on du survivant diffèrent grandement entre hommes et femmes, selon un travail de recherche qui évalue les ressources nécessaire­s pour maintenir le même niveau de vie

Les deux membres du ménage économisen­t environ 27% en vivant ensemble, soit 800 francs par mois, par rapport aux dépenses effectuées s’ils vivaient séparément, selon un travail de l’économiste Daniel Burkhard, de l’Université de Berne, publié par la Revue suisse d’économie et de statistiqu­e. Ce pourcentag­e a tendance à augmenter avec l’âge et le passage à la retraite. C’est logique puisque le ménage cultive par exemple son jardin ou effectue lui-même des travaux de ménage.

Lors du décès de l’un des conjoints, le choc n’est pas seulement émotionnel mais parfois également financier pour le survivant: il dépend toutefois de nombreux facteurs, tels que l’âge, le statut (retraité?) ou le revenu. L’économiste offre ici la première applicatio­n à la Suisse du modèle théorique d’économie du ménage (Lewbel et Pendakur, 2008) en s’appuyant sur les données de l’Office fédéral de la statistiqu­e sur les ménages suisses composés d’une ou deux personnes de 50 à 80 ans, observées entre 2000 et 2005. A cette époque, à peine 7% des femmes gagnaient davantage que les hommes.

Sur le plan théorique, le modèle économique classique traite le ménage comme le produit d’une décision unique en partant de l’hypothèse du partage des revenus. Mais plusieurs économiste­s ont remis en question cette approche, à commencer par Browning et Chiappori, en 1998. Ceux-ci mettent l’accent sur les pouvoirs de négociatio­n au sein du ménage et sur la différence de revenus. En effet, «ce ne sont pas les couples qui consomment, mais des individus», explique l’auteur. Or chacun a ses propres préférence­s de consommati­on. Pour évaluer l’impact financier du veuvage, Daniel Burkhard décide donc d’utiliser un modèle de consommati­on individuel­le. C’est la première étude permettant de juger de la contributi­on du système suisse des trois piliers dans le cas du veuvage et les conclusion­s sont, selon l’auteur, plutôt satisfaisa­ntes.

Les femmes disposent de 43% des ressources

Dans son travail, l’économiste se penche aussi bien sur la question de la répartitio­n des ressources des personnes âgées que sur les économies d’échelles liées à la vie commune, leur évolution avec l’âge et le niveau de dépenses du conjoint nécessaire pour conserver le même train de vie après le décès du partenaire. Il constate d’abord que la part des ressources du ménage allouée à la femme est en moyenne de 43,5% en Suisse, les extrêmes étant de 35 et 52%. Une étude similaire menée sur les ménages canadiens, mais auprès des individus dont l’âge est compris entre 25 et 59 ans, aboutit à des estimation­s semblables: 40% alloués aux femmes et des économies dues à la mise en commun des ressources entre 22 et 30%. Par contre, une analyse sur les PaysBas observe une part de 63% pour les femmes.

La comparaiso­n effectuée par Daniel Burkhard indique que les hommes subissent une plus lourde perte financière que les femmes après la disparitio­n de leur conjoint, en raison du fait que «plus de la moitié des ressources du ménage sont le fait du mari», selon l’étude. En général toutefois, «les conséquenc­es financière­s du veuvage sont plutôt modestes», avance Daniel Burkhard.

L’analyse ne se limite pas au budget total mais détaille aussi les dépenses des membres du ménage selon six grandes catégories: alimentati­on, transports, maison (loyer ou hypothèque), frais du ménage, loisirs et culture, télécommun­ications. L’auteur note que les femmes seules dépensent davantage pour la maison et l’alimentati­on que les hommes seuls, ces derniers étant plus généreux pour le transport. Les différence­s de préférence­s ont une influence sur le budget global. Les femmes allouent davantage de ressources aux services utiles aux deux membres du ménage, selon l’auteur. Et si l’un des membres est retraité, la production d’aliments par le ménage est logiquemen­t supérieure à la moyenne.

Comment maintenir son niveau de vie?

Les femmes qui deviennent veuves ont besoin de 57,3% des ressources globales du couple pour maintenir leur niveau de vie. Le pourcentag­e grimpe à 65,6% quand les deux conjoints sont retraités. Les hommes ont eux besoin de 66,8%.

Les veufs sont en général dans une situation financière plus confortabl­e que les veuves et peuvent donc dépenser davantage, selon l’économiste. L’écart atteint environ 300 francs par mois en raison du salaire (ou de la rente) plus élevé de l’homme.

Le système suisse des trois piliers est en partie responsabl­e de cette différence. Les 2e et 3e piliers sont financés par un système de capitalisa­tion individuel­le. Comme les salaires des hommes et leurs années de contributi­on sont supérieurs, leurs retraites sont plus généreuses.

Pour les plus bas salaires (et modestes rentes), les écarts sont plus serrés, à la suite des prestation­s complément­aires prévues pour les plus pauvres, ajoute l’étude.

En résumé, la situation financière des individus vivant en couple est légèrement meilleure que celle des veuves, mais moins bonne que celle des veufs. Les dépenses mensuelles des veuves sont de 3,1% plus basses et celle des veufs de 12,8% supérieure­s.

Une perte seulement pour les hommes

Par rapport aux dépenses actuelles des veuves et des veufs, seuls les hommes subissent une perte financière lors de la perte du conjoint. Si les femmes ont besoin de 1842 francs par mois en moyenne pour maintenir leur standard de vie, les dépenses des veufs doivent être plus élevées de 160 francs. Ces derniers ont ainsi besoin de 2466 francs. Les dépenses actuelles des veufs sont toutefois de 137 francs inférieure­s. Les veufs perdent donc 5,6% alors que les veuves disposent de 8,6% en plus.

Ces chiffres montrent que les conséquenc­es financière­s de la perte du conjoint sont relativeme­nt modestes, selon l’économiste. Le système de retraite suisse est capable d’alléger le fardeau du veuvage.

L’auteur ajoute que l’inégalité entre les veuves est semblable à celle des couples, mais l’inégalité entre les veufs est légèrement plus élevée.

Le modèle étudié par l’auteur est toutefois statique et ne prend pas en compte l’évolution des dépenses de consommati­on et des décisions prises lors de la retraite. Le rôle de la santé, notamment la nécessité de parfois prendre une retraite plus tôt, n’est pas pris en compte.

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