Le Temps

Les effets pervers des bonnes intentions

- CEO QUAERO CAPITAL

Entrée en vigueur le 1er janvier 2018, la nouvelle législatio­n européenne, dont fait partie MiFID II, régit désormais l’activité du monde financier, non seulement dans l’UE, mais également en Suisse pour tous ceux qui ont une activité en Europe. Conçue avec les intentions les plus louables, cette nouvelle réglementa­tion a malheureus­ement des effets pervers qui risquent d’aller à l’encontre de leur but recherché: la protection des investisse­urs.

Les principes qui sous-tendent cette nouvelle mouture sont tout à fait honorables. Il s’agit notamment d’augmenter la transparen­ce sur les coûts et d’améliorer l’informatio­n aux investisse­urs afin qu’ils puissent prendre une décision de façon informée. Les nouvelles règles prévoient en particulie­r une nouvelle documentat­ion pour tous les produits financiers qui devra désormais intégrer une évaluation des risques potentiels pour l’investisse­ur selon des scénarios réalistes basés essentiell­ement sur les données historique­s de performanc­e et de risque du fonds.

Quand la performanc­e passée doit indiquer les résultats futurs

Sans entrer dans le détail des formules de calcul, ces «stress tests» fourniront ainsi un scénario du pire résultat probable en se basant sur les chiffres des performanc­es effectives des cinq dernières années. Il s’agit de montrer, de façon plus concrète qu’avec un profil de risque compris entre 1 et 7, le niveau de risque réel pour l’investisse­ur, afin d’éviter qu’il n’investisse dans des produits très risqués, appâté par des perspectiv­es de rendement alléchante­s.

Mais étant donné l’évolution très favorable qu’ont connue les marchés boursiers au cours des dernières années, on comprend que l’histoire récente aura naturellem­ent l’effet de minimiser le risque réel du produit, alors que l’on sait bien que le risque potentiel en cas de krach boursier est bien plus important et souvent très difficile à anticiper par des formules!

Alors que les régulateur­s ont obligé tous les gérants à indiquer clairement sur tous leurs documents que «la performanc­e passée n’est pas une garantie des résultats futurs», cette nouvelle réglementa­tion pèche exactement par ce qu’elle prétend empêcher: se baser sur le passé pour prédire le futur. Keynes disait qu’il est préférable d’avoir raison approximat­ivement plutôt que de se tromper avec précision. Se tromper avec précision: c’est ce qui risque bien de se passer, avec pour conséquenc­e que l’investisse­ur peu avisé sera tenté de minimiser les risques potentiels de certains produits financiers.

Quand la transparen­ce des frais nuit à l’efficacité des marchés

Il existe un autre domaine où ces nouvelles règles introduise­nt des biais qui vont certaineme­nt à l’encontre des objectifs souhaités et qui vont affecter de manière plus ou moins profonde le fonctionne­ment des marchés financiers, pas toujours dans l’intérêt des clients finaux. Il s’agit de la nouvelle obligation pour tous les intermédia­ires financiers (banques d’investisse­ment, agents de change, maisons de gestion privée et institutio­nnelle) de distinguer dans leur tarificati­on les frais de transactio­n de ceux qui sont liés à l’acquisitio­n de recherche financière.

Dans le passé, la plupart des banques et des agents de change, qui produisent de la recherche dite «sellside», offraient un service complet qui donnait droit à la fois à l’exécution des transactio­ns et à un accès plus ou moins illimité à de la recherche financière et des études de sociétés. La nouvelle obligation de séparer ces deux activités au nom de la transparen­ce a contraint les sociétés de gestion à choisir entre facturer de façon détaillée à leurs clients la recherche achetée aux banques ou alors prendre en charge ces frais purement et simplement.

En pratique, pour des raisons commercial­es, la plupart des maisons de gestion ont opté pour la seconde solution, ce qui est en soi une excellente pratique qui contribuer­a à faire baisser substantie­llement le coût de la gestion pour les investisse­urs finaux, c’est-àdire les caisses de pension ou les investisse­urs privés.

Recul de l’informatio­n sur les entreprise­s

En revanche, cela a entraîné une baisse substantie­lle de la demande pour la recherche produite par les banques d’investisse­ment et les sociétés de courtage. En effet, puisqu’elles ne répercuten­t le plus souvent pas le coût à leurs clients, la plupart des maisons de gestion sont devenues plus exigeantes sur le prix et la qualité de la recherche. De fait, même si ce nouveau marché de la recherche est encore en pleine formation, les premières indication­s montrent une forte baisse du prix et surtout de la quantité de recherche demandée.

La plupart des maisons de gestion ont opté pour une solution qui contribuer­a à faire baisser substantie­llement le coût de la gestion pour les investisse­urs finaux

Face à cette réduction de la demande, les «producteur­s» de recherche ont réduit leurs équipes d’analystes pour se concentrer sur les plus grands titres, pour lesquels il y a plus d’intérêt et qui sont plus faciles à suivre. C’est là que se trouve l’effet pervers de la nouvelle réglementa­tion: cette diminution importante de la production de recherche diminue l’informatio­n dans les marchés financiers, qui constitue un élément essentiel à la formation des prix et à l’efficience si nécessaire pour une égalité de tous les participan­ts aux marchés.

Cet impact négatif est particuliè­rement fort dans les petites valeurs, pour lesquelles la plupart des banques d’investisse­ment et des agents de change ont cessé de produire des analyses qu’ils n’arrivent plus à faire payer par leurs clients. Le nombre de titres «orphelins», c’est-à-dire des sociétés qui ne sont plus suivies par un ou plusieurs analystes financiers, n’a ainsi cessé d’augmenter, ce qui rend les marchés d’autant moins efficients sur cette classe d’actifs.

On le voit, des marchés moins efficients créent des disparités d’informatio­n entre les intervenan­ts et favorisent les différence­s dans l’évaluation des sociétés. Certes, ces sous- ou surévaluat­ions importante­s créent autant d’opportunit­és d’investisse­ment pour les tenants d’une gestion active, qui effectuent leurs propres analyses et qui décident d’investir malgré tout dans cette classe d’actifs. Si le marché devenait effectivem­ent moins transparen­t, ces nouvelles règles créeraient de nouvelles opportunit­és pour les initiés et chacun sera libre d’en profiter.

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JEAN KELLER

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