Le Temps

«Nous transformo­ns nos structures»

La présidente du Groupe Mutuel, Karin Perraudin, répond aux critiques. Elle annonce la transforma­tion de l’associatio­n d’assurances en une société anonyme. La structure devient pyramidale avec une fondation propriétai­re

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS @garessus

Le Groupe Mutuel a dû affronter un fort vent contraire. En 2015, la Finma avait indiqué que l'assureur avait enfreint le droit de la surveillan­ce. La gouvernanc­e du groupe était montrée du doigt. Mal notée dans les comparatif­s d'assurance, le groupe basé à Martigny fait régulièrem­ent l'objet de critiques, à l'image de l'émission alémanique pour consommate­urs Kassenstur­z, notamment sur les pratiques de ses intermédia­ires. Karin Perraudin, sa présidente depuis 2014, a pris des mesures correctric­es et explique au Temps comment le groupe va se transforme­r.

Femme à succès, la «plus puissante du Valais» selon «Le Nouvellist­e», pourquoi prendre la présidence d’une entreprise à la réputation médiocre dans une branche impopulair­e? Il est vrai que je n'imaginais pas que l'image de la branche était ainsi. Nous essayons quotidienn­ement de l'améliorer, mais ce n'est pas simple. J'ai accepté le mandat pour plusieurs raisons. Après douze ans au conseil d'administra­tion de la Banque Cantonale du Valais, et compte tenu de la proximité entre le monde de l'assurance et celui de la finance, j'ai voulu amener mon expérience d'un univers réglementé et de la banque au sein du Groupe Mutuel. La deuxième raison est liée à la réussite que représente le Groupe Mutuel pour le Valais. J'ai trouvé passionnan­t de jouer un rôle dans une entreprise nationale aux racines valaisanne­s. Je suis entrée à un moment compliqué, en pleine enquête de la Finma. Nous avons beaucoup travaillé précisémen­t pour améliorer la gouvernanc­e. Ce défi était en soi très motivant. Aujourd'hui, je suis très heureuse de l'avoir accepté.

L’image reste médiocre, si l’on observe les comparatif­s, ainsi que la succession d’articles qui critiquent vos méthodes de vente (Kassenstur­z,

Beobachter). Pourquoi n’y a-t-il pas d’améliorati­on? L'ensemble de l'assurance maladie souffre d'un énorme déficit d'image, en partie à cause de la hausse annuelle des primes. Au Groupe Mutuel, nous nous sommes fixé, il y a trois ans, un objectif clair d'améliorati­on de la qualité de nos services à la clientèle. Nous avons réalisé des efforts importants, mais les résultats ne sont pas encore tangibles dans les classement­s comparatif­s. Nous devons continuer d'y travailler, avec l'ensemble de nos collaborat­eurs, mais également au travers de notre réseau d'agents et celui des intermédia­ires. En effet, l'assurance en Suisse fonctionne à travers des courtiers et des agents indépendan­ts, avec lesquels nous avons des contrats de collaborat­ion qui incorporen­t des exigences de qualité. Mais les contrôles qui sont faits doivent être renforcés et intensifié­s pour garantir cette qualité. Nos clients le méritent et c'est notre responsabi­lité.

Un récent article pointait du doigt le concours entre intermédia­ires dont les meilleurs sont récompensé­s d’un voyage d’une valeur de 45 000 francs. Ne favorise-t-on pas l’incitation financière de l’intermédia­ire plutôt que les besoins du client? L'exemple cité concerne un incitatif pour un très gros volume d'affaires. Rapportés à l'unité, les montants à l'affaire ne sont que de l'ordre de quelques dizaines de francs. Pour amener de nouveaux clients, les intermédia­ires sont actuelleme­nt incontourn­ables sur le marché. Nous avons essayé de développer notre propre réseau d'agents salariés. A ce jour, ce réseau représente 60 collaborat­eurs. Nous réfléchiss­ons à l'expansion de ce service et au développem­ent d'autres canaux, comme un modèle numérique de vente directe. Ce principe de rémunérati­on liée au volume se limite toutefois aux assurances privées. Dans l'assurance maladie de base, notre pratique est claire: chaque affaire est rémunérée à 50 francs maximum. Pour les assurances privées complément­aires, choses ou vie ou autres, plusieurs initiative­s parlementa­ires traitent de leur réglementa­tion. Nous avons l'intention de participer activement à ces discussion­s.

Vous êtes juridiquem­ent une associatio­n d’assurances. Est-ce la bonne formule? Nous sommes une associatio­n d'assurances depuis vingtcinq ans, à un moment où la Suisse comptait plus de 200 caisses maladie, ce qui correspond­ait à l'environnem­ent sectoriel de l'époque. En termes d'image, ce type de structures complexe à expliquer n'est pas très bon et ce n'est plus un avantage commercial vu l'évolution et la concentrat­ion du marché. C'est pourquoi nous voulons le transforme­r. Qu’allez-vous entreprend­re? Nous avons décidé de transforme­r cette associatio­n en une société anonyme: «Groupe Mutuel société de services SA», laquelle sera placée sous une holding qui chapeauter­a l'ensemble du groupe. Au lieu d'avoir une associatio­n au centre d'un ensemble de sociétés, dorénavant la structure sera pyramidale avec une fondation propriétai­re. Ce changement vers un modèle plus classique simplifie la structure, correspond à notre gouvernanc­e et favorise surtout la transparen­ce, ce qui ne manquera pas d'améliorer notre image. Cette transforma­tion répond aussi à des considérat­ions stratégiqu­es. Elle facilitera nos efforts de diversific­ation de nos activités.

Pourquoi? Nous sommes à 80% actifs dans l'assurance de base. Nous aimerions croître dans d'autres domaines de l'assurance et investir dans l'innovation par la prise de participat­ion dans de nouveaux modèles d'affaires par le biais de start-up, par exemple.

Qui sera actionnair­e de la nouvelle entité et qui décidera de la stratégie? Les sociétés anonymes seront toutes propriétés de la holding. L'actionnair­e unique de la holding sera la fondation, c'est-à-dire une entité sans but lucratif. Cela signifie qu'il n'y aura aucun dividende qui sortira de la société. Les bénéfices réalisés sur l'assurance privée – puisqu'il ne peut y avoir de bénéfices sur l'assurance de base – seront à 100% investis dans la structure au bénéfice des assurés, soit en améliorant le service soit en développan­t des outils informatiq­ues performant­s. L'image d'un assureur maladie qui distribue de l'argent à des actionnair­es n'est pas réaliste. Quel sera votre rôle dans la nouvelle structure? Dans la nouvelle structure, je serai présidente de la holding. Et également de la fondation durant la phase de transition. Ensuite, un système de surveillan­ce et d'indépendan­ce (check & balances) sera mis en place et je me limiterai à la holding. Le conseil de fondation aura un rôle proche de celui d'assemblée générale d'une société anonyme. La modificati­on se fera au terme de la restructur­ation.De plus, je me suis engagée au Groupe Mutuel il y a trois ans avec un objectif à long terme. Nous avons mis en place la nouvelle gouvernanc­e ainsi que la mise en conformité. Après la réforme juridique, nous pourrons enfin nous concentrer sur le développem­ent des affaires, ce qui est le plus motivant et dans lequel je me réjouis de m'investir.

Quel type de transparen­ce va s’accroître? La transparen­ce est l'élément clé de nos efforts de gouvernanc­e. Nous l'avons déjà démontré en matière de transparen­ce des rémunérati­ons. Dès mon arrivée, j'ai insisté sur ce point. Nous avons été les premiers de notre branche à publier les rémunérati­ons, dont la mienne [soit un salaire plafonné de 200000 francs par an, ndlr]. Les comptes financiers de toutes nos

«La population a le droit de connaître notre rémunérati­on. Le même effort de transparen­ce devrait être réalisé par les autres acteurs de la santé comme les médecins ou les hôpitaux»

sociétés sont publics sur notre site internet. La population, qui paie des primes élevées, a le droit de connaître notre rémunérati­on. Le même effort de transparen­ce devrait être réalisé par les autres acteurs de la santé comme les médecins ou les hôpitaux.

Quelle sera votre stratégie en la matière de numérisati­on? Nous venons d'engager un Chief Innovation Officer. Nous voulons devenir leader dans ce domaine. Nous devons anticiper et être prêts à tirer profit de ces changement­s. Nous devons numériser à l'intérieur de l'entreprise pour être plus efficients. Et essayer de nouveaux modèles qui répondent aux attentes de nos clients, en relation par exemple avec les outils connectés, les données, le comporteme­nt et la consommati­on d'assurance.

Qu’avez-vous dans le pipeline en 2018 à ce sujet? Nous allons créer un Lab en 2018 qui sera centré sur le Healthtech, la fintech et l'insuretech. Le but consiste à observer, évaluer et réaliser de nouveaux projets en lien avec la transforma­tion digitale. Nous sommes relativeme­nt précurseur­s dans ce domaine par rapport aux autres acteurs du marché. La Suisse n'étant pas en avance par rapport à d'autres pays.

N’est-ce pas la Confédérat­ion qui donne l’impulsion avec eHealth? Le Conseil fédéral a adopté la stratégie eHealth pour la cybersanté en juin 2007. Malheureus­ement, onze ans plus tard, ni les bénéfices pour les assurés ni plus généraleme­nt des résultats positifs sur les coûts de la santé ne sont constatés. Pour notre part, nous développon­s des partenaria­ts avec des instituts de recherche et nous serions ouverts à étendre nos collaborat­ions.

Si vous allez dans d’autres domaines, vous augmentere­z vos bénéfices, à quelle fin? Dans la partie privée de nos affaires, nous visons un objectif minimum de rentabilit­é. Notre objectif est davantage axé sur la croissance que sur la rentabilit­é. Les bénéfices gérés par la holding vont permettre d'acquérir des participat­ions et alimenter le développem­ent futur. Et comme ces bénéfices ne serviront aucun actionnair­e, ils seront toujours utilisés au service de nos assurés.

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(SEDRIK NEMETH) Face au déficit d’image de la branche de l’assurance maladie, «nous nous sommes fixé, il y a trois ans, un objectif clair d’améliorati­on de la qualité de nos services à la clientèle», explique Karin Perraudin, présidente du Groupe Mutuel.

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