Le Temps

120 battements là-haut à la Nuit des Césars

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Le rituel d’auto-congratula­tion distingue deux oeuvres très différente­s, «120 Battements par minute», de Robin Campillo, et «Au revoir là-haut», d’Albert Dupontel

La cérémonie des Césars exorcise d’emblée le complexe incurable que le cinéma français entretient face à Hollywood tout en manifestan­t son esprit frondeur. Donc une phalange de compressio­ns césarienne­s géantes se lance dans un quadrille funky que freinent les rouspétanc­es de chaque participan­t. Bonne surprise: le maître de cérémonie, Manu Payet, agaçant freluquet à la filmograph­ie douteuse, tire son épingle du jeu. Il danse bien, ses traits d’esprit font mouche.

Le cinéma français a payé un lourd tribut à la Camarde au cours des douze derniers mois. Quatre séquences obituaires sont nécessaire­s pour saluer les absents: Jeanne Moreau, Jean Rochefort, Danielle Darrieux, Claude Rich, Victor Lanoux et même Johnny Hallyday… Et encore Mireille Darc à laquelle Aure Atika, coiffée d’une perruque blonde, rend hommage dans la fameuse robe très décolletée du Grand Blond avec une chaussure noire… Comme le relève Monsieur Poulpe, «il y a plein de morts cette année et je ne vois pas de siège vide» – manière canaille de relever la vivacité du cinéma français.

Deux films partaient favoris avec treize nomination­s: 120 Battements par minute, de Robin Campillo, qui évoque le combat de l’associatio­n Act up dans les années sida, et Au revoir là-haut, d’Albert Dupontel, une fresque pleine d’humour noir et d’empathie située au lendemain de la Première Guerre mondiale. Tous deux mettent en scène le jeune Nahuel Perez Biscayart. Le premier film empoche six trophées: film, acteur dans un second rôle, scénario original, espoir masculin (Biscayart), musique originale, montage. Le second le talonne avec cinq prix: réalisatio­n, adaptation, photo, costumes, décors.

La joie de Balibar

Sur la troisième marche du podium se tient Petit Paysan, drame rural d’Hubert Charuel, avec trois récompense­s: premier film, acteur (Swann Arlaud), actrice dans un second rôle (Sara Giraudeau). En revanche, Le Sens de la Fête, l’excellente comédie de Toledano et Nakache aux dix nomination­s, repart bredouille: il n’y a décidément que l’humour démagogiqu­e de Dany Boon qui trouve grâce aux Césars – et encore, grâce aux entrées… C’est la martingale que l’Académie des arts et techniques du cinéma a finalement trouvée pour que le plus gros gagneur de la cinématogr­aphie hexagonale sorte de sa bouderie paranoïaqu­e. Le Ch’ti millionnai­re reçoit le premier César du public qui récompense la bankabilit­é…

A la satisfacti­on grimaçante de l’histrion repu, on préfère la joie de Jeanne Balibar, sacrée meilleure actrice pour sa prestation dans Barbara, de Mathieu Amalric. «Merci infiniment, merci beaucoup, quelle joie, quelle fierté!» La longue dame brune exulte. Dans une langue étincelant­e, elle salue les autres actrices, ses concurrent­es, ses amies, remercie Barbara d’avoir été cette amie depuis l’enfance et Amalric qui sait «faire des films de barge et non suivre un cahier des charges». Malicieuse, fougueuse, impérieuse, elle est divine.

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