La manoeuvre qui vaut des ennuis à une procureure
La Chambre pénale de recours donne raison à une prévenue qui demandait la récusation de la procureure Rita Sethi-Karam ainsi que l’ouverture d’une enquête pénale pour abus d’autorité
Sale temps pour la procureure Rita Sethi-Karam. La Chambre pénale de recours du canton de Genève donne doublement raison à une prévenue qui demandait à la fois la récusation de la magistrate et l’ouverture d’une enquête pour abus d’autorité. Accusée de traite d’êtres humains pour avoir exploité sa cousine, cette femme reproche à la procureure d’avoir effacé l’enregistrement d’une conversation téléphonique qui aurait pu la mettre hors de cause, et cela sans même l’écouter. A ce stade, les versions divergent sur le déroulement des événements et les juges estiment que toutes les personnes présentes lors de l’audience doivent être entendues pour établir les circonstances exactes de la suppression de ce potentiel élément de preuve.
L’audience litigieuse
Les deux décisions, rendues simultanément le 27 février dernier, résument ainsi les faits. Depuis 2015, Rita Sethi-Karam, plus connue pour avoir été la compagne du procureur général Olivier Jornot, est en charge d’une procédure pénale ouverte contre deux femmes interpellées à leur domicile alors qu’elles se bagarraient. L’une se voit reprocher une violation de la loi sur les étrangers, infraction qui sera finalement classée par la procureure au vu des mauvais traitements subis. L’autre, mise en cause par la première, est poursuivie pour traite d’êtres humains et voies de fait. Lors de l’enquête, cette prévenue a déclaré que la prétendue victime avait appelé une connaissance pour lui dire que ses accusations de maltraitance étaient fausses et avaient été proférées pour obtenir un permis et une aide financière. L’homme avait enregistré cette conversation.
Ce témoin a été entendu le 27 mars 2017. Le procès-verbal de l’audience, qui commence à 15h10 et s’achève à 15h43, retient notamment ce qui suit: «Il est exact que j’ai enregistré la conversation que j’ai eue avec Mme S. Mon but était de faire écouter cette conversation à Mme T. pour lui montrer que Mme S. voulait vraiment que cela s’arrête, ce qui n’était pas le cas. J’ai toujours cet enregistrement sur mon téléphone. Vous me demandez d’écouter cet enregistrement, il dure 19 minutes. Vous effacez cet enregistrement en présence des parties et de moi-même, n’importe quel élément provenant de cet enregistrement étant de toute manière irrecevable.»
Explications peu convaincantes
Renvoyée en jugement à l’automne, Mme T., défendue par Mes Thomas Barth et Romain Jordan, a porté plainte pour abus d’autorité contre Rita Sethi-Karam. Le premier procureur Stéphane Grodecki a estimé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre après avoir recueilli les observations de sa collègue. Cette dernière explique que la conversation a été entendue dans sa totalité par les parties lors de l’audience, qu’elle n’a révélé que des propos sans pertinence et que la plaignante ne s’est pas opposée à son effacement. Celui-ci a été effectué par le témoin lui-même, contrairement à ce que le procès-verbal laisse entendre, après qu’il fut relevé que cet enregistrement avait été effectué de manière illégale.
La Chambre pénale est d’un autre avis. Selon l’arrêt, la procureure ne pouvait pas partir du principe que l’enregistrement avait été fait à l’insu de la cousine en question. Elle aurait dû le conserver et procéder à l’écoute et en aucun cas le détruire ou le faire détruire sur-le-champ par le témoin sans même statuer sur son illicéité. Perplexes quant aux explications avancées, les juges relèvent que la durée de l’audience laisse plutôt entrevoir «que la conversation n’a pas été intégralement écoutée mais plutôt d’emblée effacée, sans que l’on sache clairement à ce stade par qui». La décision relève une autre contradiction: «On peut s’interroger sur la démarche de la procureure de vouloir procéder à l’écoute d’un enregistrement alors même qu’elle le considère comme illégal.»
Estimant qu’il faut y voir plus clair dans cette manoeuvre, les juges retournent le dossier au Ministère public pour audition des personnes présentes à l’audience. Celles-ci étaient au nombre de sept en comptant Rita Sethi-Karam et sa greffière. Si les choses se corsent, ou même déjà avant, il appartiendra au premier procureur de saisir le Grand Conseil d’une demande de levée d’immunité. L’affaire a déjà une conséquence directe. Selon la Chambre pénale de recours, Rita Sethi-Karam, en présentant un déroulement de l’audience «diamétralement opposé à celui qu’elle a elle-même protocolé dans un procès-verbal qu’elle était chargée de tenir», a pu objectivement faire douter de son impartialité dans ce dossier. La demande de récusation est ainsi admise.
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