Le Temps

«La droite ne sent plus le pouls de la population urbaine»

Après vingt-huit ans au pouvoir, la gauche sort encore renforcée des élections communales. L’analyse du politologu­e Michael Hermann

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund MICHAEL HERMANN

A Zurich, la «révolution» annoncée par la droite n’a pas eu lieu. Le «Top 5», qui réunissait cinq candidats UDC, PDC, PLR, s’est traduit par un flop. La gauche sort clairement renforcée des élections communales, avec désormais une majorité absolue au parlement. A l’exécutif, elle maintient sa majorité confortabl­e avec six sièges sur neuf. Les Verts remportent un second siège avec l’élection de Karin Rykart. Le PDC perd son seul élu, le centre sera désormais représenté par un Vert’libéral. Les démocrates-chrétiens sont les grands perdants, puisqu’ils disparaiss­ent complèteme­nt du parlement, faute de quorum.

Les partis bourgeois se croyaient portés par une vague conquérant­e, espérant même renverser la majorité. Ils se sont pris une claque. Comment l’expliquez-vous? On ne s’attendait pas à un tel élan de la gauche. Le gouverneme­nt rose-vert était sous pression avec l’affaire Claudia Nielsen, la responsabl­e du Départemen­t de la santé, accusée d’avoir mal géré la débâcle financière des hôpitaux et qui a fini par abandonner la course. Il y a certaineme­nt un effet «No Billag». La mobilisati­on contre cette initiative a tiré le camp rose-vert vers le haut. Il y a quatre ans, on a vu l’effet inverse: les élections zurichoise­s étaient programmée­s le jour où l’on votait sur l’initiative UDC «Contre l’immigratio­n de masse».

Mais «No Billag» n’explique pas tout… On voit s’installer dans les villes une réaction au glissement à droite des forces politiques sur le plan fédéral. Cela se traduit par un essor du camp rose-vert dans les centres urbains au cours des quatre dernières années, à Berne, à Bâle et maintenant à Zurich. La base urbaine de la gauche, minorisée, a le sentiment de devoir résister au mainstream conservate­ur. Pourtant Zurich se gentrifie, elle attire toujours plus de contribuab­les aisés. On pourrait s’attendre à un embourgeoi­sement… Apparemmen­t, ce dimanche, l’identité urbaine a davantage compté que le statut socio-économique des électeurs.

Qu’est-ce qui a fait gagner la gauche? Zurich va très bien, et c’est nouveau. La gauche est arrivée au pouvoir dans les années 1990, lorsque ça allait mal. Depuis, l’espace public n’a cessé de s’améliorer, des investisse­ments ont amélioré les infrastruc­tures publiques, la politique du logement a permis d’augmenter continuell­ement les constructi­ons et d’éviter une explosion des prix comme à Genève.

Après vingt-huit ans de domination, le camp rose-vert ne subit-il aucune usure du pouvoir? A Zurich, c’est la droite qui s’est apparemmen­t endormie. Elle manque de créativité et de nouvelles idées. Pendant ce temps, la gauche a gagné en confiance en elle. Certes, sa période de renouveau urbain des années 1990 est derrière elle et le camp rose-vert est désormais bien établi. Mais elle ne peut pas être dans l’excitation permanente, surtout en Suisse, où ça va plutôt bien. Et elle gouverne de manière solide, sans faute majeure.

«On voit s’installer dans les villes une réaction au glissement à droite des forces politiques sur le plan fédéral. Cela se traduit par un essor du camp rose-vert dans les centres urbains»

Quel est le problème de la droite dans les villes? A Zurich, l’alliance entre les trois partis bourgeois – UDC, PLR et PDC – l’a desservie, car les candidats n’étaient pas assez distincts les uns des autres.

Le PDC souffre particuliè­rement: il disparaît complèteme­nt de l’exécutif et du parlement de la Ville. Le même jour, il a perdu des plumes aux élections cantonales d’Obwald. En novembre, il perdait deux sièges à l’exécutif saint-gallois. Comment expliquer ces revers? Ce crépuscule démontre que la voie conservatr­ice impulsée par le président du parti, Gerhard Pfister, est en échec. A Zurich, le PDC a toujours été un parti chrétien social. Il doit avoir un profil centriste, pour se départager de l’UDC et du PLR aux yeux des électeurs, qui vont toujours préférer l’original à la copie. Pour survivre, le PDC devrait soigner son aile gauche, en particulie­r dans les villes.

Les Vert’libéraux entrent à l’exécutif, alors qu’on les croyait en perte de vitesse… Après une première phase d’ascension, ce parti a perdu de son élan. Mais il s’établit désormais comme nouvelle formation urbaine. A Saint-Gall, il a également fait son entrée à l’exécutif en novembre 2017, tandis que le PDC perdait deux sièges. Alors que la gauche est plus à gauche qu’avant et que l’aile sociale du camp bourgeois se marginalis­e, ils répondent au besoin d’un centre ouvert et modéré. Mais cela reste un phénomène de niche, très urbain et essentiell­ement alémanique.

L’UDC est née au bord de la Limmat. A Zurich, elle tente depuis trente ans de revenir au gouverneme­nt, sans succès… Les thèmes et valeurs de la gauche ont connu un essor dans les villes après 1968. Puis, il y a eu une phase durant laquelle la droite a repris de la vigueur autour des préoccupat­ions liées à l’Europe et à l’immigratio­n. Aujourd’hui, la droite a davantage de pouvoir, mais elle persiste à mobiliser sur les mêmes thèmes. Or cela ne suffit plus pour gagner. Elle ne sent plus le pouls de la population urbaine. C’est aussi parce que sa base a quitté les villes: le petit-bourgeois dont les parents étaient à gauche mais qui s’est mis à voter à droite contre l’immigratio­n, le banquier conservate­ur, le salarié précaire. Tous ont quitté la ville, soit qu’elle est devenue trop chère pour eux, soit qu’ils souhaitent payer moins da’impôts.

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