Le Temps

Lutte intensive autour du substrat fiscal: la Suisse doit agir

- Article paru dans la NZZ du 23 février 2018. HEINZ KARRER PRÉSIDENT D’ECONOMIESU­ISSE

Les régimes fiscaux spéciaux suisses, critiqués sur le plan internatio­nal, ne sont plus dans l’intérêt de la Suisse et sont même devenus nuisibles. Suite au rejet de la troisième réforme de l’imposition des entreprise­s, le Conseil fédéral a relancé rapidement les travaux. Après audition des milieux concernés, et en accord avec les cantons, le gouverneme­nt a soumis à consultati­on un nouveau projet en septembre 2017 déjà.

La Suisse a travaillé rapidement, mais il y a eu aussi du mouvement dans la fiscalité internatio­nale en 2017. Plusieurs développem­ents renforcent la pression sur notre pays. Ainsi, la mise en oeuvre du projet BEPS de l’OCDE avance. Ce projet combat l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. L’été dernier, les Chambres fédérales ont approuvé l’échange automatiqu­e de déclaratio­ns pays par pays, lequel a pour effet que la Suisse transmettr­a cette année pour la première fois à des autorités étrangères des rescrits fiscaux («rulings») ainsi que des informatio­ns fiscales sur des entreprise­s. Si la Suisse n’abolit pas les régimes fiscaux privilégié­s, le risque de sanctions étrangères et de double imposition se renforcera pour les entreprise­s implantées sur son territoire.

En octobre, l’OCDE a publié une liste des pratiques fiscales dommageabl­es: sans surprise, les régimes fiscaux spéciaux suisses y figurent. Puis l’UE a inscrit la Suisse sur une liste grise, début décembre, en lui demandant d’abolir les pratiques critiquées d’ici à la fin 2018. Par ailleurs, la réforme fiscale américaine revoit fortement à la baisse, de 35% à 21%, l’impôt sur les sociétés. Cette réforme ne renforce pas seulement l’attrait des Etats-Unis, mais elle attise aussi la concurrenc­e intra-européenne pour attirer les investisse­ments américains, car les Etats-Unis n’imposeront plus les bénéfices réalisés à l’étranger (passage à un système territoria­l). On s’attend à ce que la Grande-Bretagne entre aussi dans la danse.

Face aux grands Etats, la Suisse a aussi un atout dans sa manche: c’est le Projet fiscal 17 (PF17). L’abolition des régimes spéciaux et leur remplaceme­nt par des réglementa­tions admises à l’échelle mondiale garantiron­t la conformité fiscale des entreprise­s face aux autorités étrangères. Parallèlem­ent, les cantons recevront un soutien financier pour adapter leur fiscalité à un niveau compétitif. Avec PF17, la Suisse sera en mesure de contrer toutes les attaques visant son substrat fiscal et elle préservera les avantages d’un site d’implantati­on parmi les plus attractifs au monde pour les entreprise­s internatio­nales.

Un autre atout de notre pays – par rapport aux Etats-Unis en particulie­r – réside dans la solidité de nos finances publiques. L’endettemen­t de la Suisse est stable et les promesses de la Confédérat­ion et des cantons d’offrir aux entreprise­s des conditions fiscales durablemen­t concurrent­ielles sont crédibles. La baisse des taux d’imposition n’est pas financée par l’endettemen­t. L’attrait fiscal et la rentabilit­é financière de l’imposition des entreprise­s ne sont donc pas antinomiqu­es. La Confédérat­ion estime que les recettes de l’impôt sur le bénéfice généreront 2 milliards de francs supplément­aires d’ici à 2021 – un montant substantie­l qui compensera largement pour elle les coûts de la réforme. Mais cette hausse des recettes ne sera plausible que si l’attrait fiscal de la Suisse est préservé. Dans ce sens, le Projet fiscal 17 est non seulement indispensa­ble mais aussi urgent. Le côté positif du projet, c’est qu’une grande partie de la solution est déjà disponible: abolition des privilèges fiscaux, mise à dispositio­n des cantons d’instrument­s fiscaux usuels à l’échelle mondiale et soutien financier aux cantons, aux villes et aux communes. Ces éléments fondamenta­ux sont incontesté­s. Contrairem­ent à ce que l’on pourrait penser, la majorité des critiques formulées dans le cadre de la consultati­on concernent des réglages fins. Il s’agit par exemple de décider si la Confédérat­ion prescrit aux cantons des compensati­ons financière­s via une hausse de l’imposition des dividendes et une hausse des allocation­s familiales ou si les cantons peuvent prendre leurs propres mesures (comme l’ont fait ou prévoient de le faire les cantons de Vaud, Bâle-Ville ou du Tessin).

La concurrenc­e fiscale internatio­nale est vive et se moque des diverses sensibilit­és suisses. Elle serait au contraire ravie en cas de nouvel échec. Et dans une telle hypothèse, il faudrait s’attendre à un recul des recettes fiscales et à des programmes d’économie à tous les niveaux de l’Etat. Aucune autre alternativ­e ne permet de mieux atteindre les objectifs, et s’il y en avait une, on le saurait de longue date.

Economiesu­isse est convaincue que le compromis réside dans une solution fédéralist­e, que ce soit en matière de mesures fiscales ou de compensati­ons. La balle est dans le camp des cantons. A eux de faire avancer leurs projets de mise en oeuvre, de les publier et de montrer que le cadre posé par le PF17 permet des solutions équilibrée­s au niveau cantonal.

Face aux grands Etats, la Suisse a un atout dans sa manche: c’est le Projet fiscal 17

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland