Les Vénézuéliens affluent au Pérou
Plus de 100 000 Vénézuéliens sont arrivés au Pérou depuis un an. Pas de quoi menacer les 32 millions de locaux, dont la majorité travaillent au noir. Mais la concurrence avec les plus vulnérables suscite parfois des propos xénophobes
Sur le Jiron de la Union, une des principales avenues du centre historique de Lima, ils sont désormais bien visibles: des Vénézuéliens vendent des
arepas, la traditionnelle galette de maïs que certains n’hésitent pas à qualifier de symbole de leur identité nationale, ou des jus de fruit, pour 2 ou 3 soles (de 60 à 90 centimes). Dans la capitale péruvienne, certains portent des blousons aux couleurs vénézuéliennes, comme ceux que le président Nicolas Maduro revêtait lors des rassemblements de partisans de son prédécesseur, Hugo Chavez (1999-2013). D’autres se contentent d’une cachucha, une casquette tricolore.
David, 25 ans, ancien étudiant à Caracas, gagne ainsi sa vie à Lima depuis plusieurs mois. Il ne se fait pas prier pour dire tout le mal qu’il pense de Nicolas Maduro, cet «apprenti dictateur», «inféodé aux Cubains». «Au Venezuela, nous avons d’abord subi les pénuries de denrées alimentaires ou de papier hygiénique, racontet-il. Ensuite, nous avons vu fondre notre revenu, à cause d’une dévaluation qui n’ose pas dire son nom. Enfin, l’hyperinflation et la valse des étiquettes deux ou trois fois par semaine ont réduit à néant notre pouvoir d’achat. Chez moi, tout le monde a perdu une dizaine de kilos. Nous ne mangeons plus à notre faim.»
Malena, quadragénaire, employée de banque, explique son départ du Venezuela avec des accents encore plus dramatiques. «Ma mère avait besoin de soins, elle avait une insuffisance rénale, confie-t-elle, les larmes aux yeux. L’hôpital, le plus important de Barquisimeto, n’avait pas de médicaments ni de draps. Une bonne partie du personnel soignant, y compris les médecins, n’était plus disponible. Maman n’a pas résisté. J’ai décidé alors de partir, pour éviter que mes enfants ne subissent le même sort.»
Réactions de rejet
Malgré ces épreuves, les Vénézuéliens qui hantent les rues de Lima refusent de céder au désespoir. Ils donnent l’impression d’avoir échappé au pire. Avec leurs dernières économies, ils ont parcouru un long périple, car le Pérou n’a pas de frontière commune avec le Venezuela. Toutefois, la capitale péruvienne semble offrir davantage d’opportunités que les villes frontalières de Colombie ou le Panama, où l’afflux de milliers de Vénézuéliens commence à susciter des réactions de rejet.
Le gouvernement péruvien leur offre un titre de séjour d’un an, renouvelable. Ils évitent ainsi d’être en situation irrégulière, ce qui n’empêche pas les patrons de restaurant d’en profiter pour les embaucher à des prix inférieurs au salaire minimum.
Cependant, il suffit de regarder Facebook ou d’autres réseaux sociaux pour trouver des offres d’emploi de baby-sitter ou d’employée domestique, assorties parfois de logement à des conditions acceptables. Les Vénézuéliens ne se laissent pas abattre par les difficultés. On compte même une discothèque vénézuélienne à Lima, pour ceux qui préfèrent danser au rythme de leurs musiques et chansons.
Selon des chiffres officiels, plus de 100000 Vénézuéliens sont arrivés au Pérou depuis un an. Pas de quoi menacer les 32 millions de Péruviens, dont la majorité travaillent au noir. Mais la concurrence avec les plus vulnérables, au bas de l’échelle sociale, suscite parfois des propos xénophobes contre les areperos ou venecos. Le Pérou n’est pas une nation d’immigration massive.
San Juan de Lurigancho, une des communes les plus peuplées de Lima, a vu l’apparition du premier quartier «vénézuélien», un barrio chamo («jeune» dans l’argot vénézuélien). Le père Humberto Boulangé a longtemps animé la paroisse de Campoy, à Lurigancho. Il rappelle à ses ouailles le devoir de solidarité et de fraternité à l’égard des expatriés: «Pendant les années du régime militaire ou du gouvernement autoritaire d’Alberto Fujimori, beaucoup de Péruviens ont trouvé refuge au Venezuela, qui était un havre de paix et de démocratie, alors que l’Amérique du Sud voyait se multiplier les dictatures sanglantes. A notre tour maintenant de nous montrer accueillants envers les Vénézuéliens qui fuient leur pays.»
En février, lors de la réunion du Groupe de Lima, formé par une douzaine de pays latino-américains et le Canada pour trouver une solution politique à la crise vénézuélienne, les exilés ont porté leurs doléances aux ministres étrangers, qui les ont écoutés. En revanche, le pape François, lors de sa visite au Pérou en janvier, a ignoré les pétitions et a refusé de les recevoir.
Crise régionale
«Chez moi, tout le monde a perdu une dizaine de kilos»
DAVID, ANCIEN ÉTUDIANT À CARACAS Federico Urquiola (2e à partir de la droite), un travailleur de la construction vénézuélien, en route pour le Pérou.
L’émigration massive a transformé le problème du Venezuela en crise régionale. La Colombie est le pays le plus impacté, à cause de sa frontière poreuse. Un million de Vénézuéliens, dont beaucoup de binationaux, ont submergé les autorités colombiennes, qui sollicitent l’aide internationale pour faire face à leurs besoins. Deux cent mille d’entre eux se sont rendus en Equateur. Plus de 50000 ont choisi l’Argentine. Au Brésil, l’Etat amazonien de Roraima a reçu 40000 Vénézuéliens, équivalant à 10% de la population locale.
L’exil des années Chavez touchait surtout les classes moyennes ou supérieures. La diaspora des années Maduro est désormais une fuite désordonnée de tous ceux qui peuvent se payer le voyage par bus ou par les moyens du bord. Une estimation de l’Université Simon-Bolivar, à Caracas, avance le chiffre de 2,5 millions d’expatriés (sur une population de 31 millions), des deux côtés de l’Atlantique. Cela n’a pas empêché le régime chaviste de les abreuver d’insultes, de persister à nier la réalité de la crise humanitaire et de refuser toute aide internationale, religieuse ou gouvernementale.
▅