Le Temps

Pour l’égalité salariale, réinventer la mobilisati­on

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Les acteurs politiques unis derrière l’égalité salariale partagent un constat: sans pression extérieure, la loi renvoyée la semaine dernière en commission mettra du temps à revenir sur le haut de la pile. Mais la manière de mobiliser divise

Son appel sera-t-il suivi d’effets? Défaite la semaine dernière sur son projet d’obliger les grandes entreprise­s à se soumettre à un contrôle externe afin de combattre les inégalités salariales, la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga en appelle désormais à la pression de la rue. Dans Le Matin Dimanche, elle interpella­it les citoyennes: «Les femmes suisses ne doivent pas oublier qu’elles n’ont jamais rien obtenu gratuiteme­nt. Il faut peut-être se remobilise­r, retrouver l’esprit de la grève des femmes de 1991.»

Le 14 juin 1991, environ 500000 femmes répondent à un appel lancé par l’Union syndicale suisse. Cette grève sert à dénoncer l’absence de concrétisa­tion légale de l’égalité hommes-femmes entrée dans la Constituti­on en 1981. Cinq ans plus tard, une loi est sous toit.

2018 n’est pas 1991

Alors que cette même loi doit aujourd’hui être modifiée afin d’intégrer un dispositif contraigna­nt, un mouvement similaire à celui de 1991 est-il envisageab­le? En ce 8 mars, comme chaque année à l’occasion de la Journée internatio­nale des femmes, différente­s manifestat­ions et actions sont annoncées. Au parlement fédéral, l’appel de Simonetta Sommaruga est entendu par les milieux qui souhaitent une interventi­on étatique en matière d’égalité salariale. Mais sur la forme, il divise. Plusieurs raisons l’expliquent.

L’esprit de la grève évoqué par la ministre socialiste renvoie à l’action syndicale, un mouvement dans lequel les femmes bourgeoise­s ne se reconnaiss­ent pas. «Ce que fait Simonetta Sommaruga est important. Elle est courageuse. Mais je trouve cette approche un peu démodée, affirme Doris Fiala, la présidente des Femmes PLR. Le modèle féministe de gauche est dépassé. En 2018, ce n’est plus la grève des femmes qui doit changer les choses, mais la menace de l’économie qui ne voudrait plus investir dans des entreprise­s qui ne respectent pas l’égalité des genres, comme l’a fait BlackRock Investment­s [un très influent gestionnai­re d’actifs, ndlr]. Il faut montrer à ceux qui ne le savent pas encore que le respect de la diversité est un facteur de succès économique!»

Atteindre les nouvelles génération­s

Un deuxième problème se pose: ni l’appel à la grève ni les messages partisans ne répondent aux codes des nouvelles génération­s, ce qui donne le sentiment que celles-ci sont moins sensibles aux questions égalitaire­s. «Sans pression populaire, le projet sera encore reporté et c’est regrettabl­e. Mais ce mouvement devrait traduire une sorte d’effarement social et généralisé face à la prise de position du Conseil des Etats», estime Philippe Nantermod (PLR/VS). Membre du PLR Femmes, il était un partisan de la loi renvoyée en commission la semaine dernière. «On ne peut pas dire, comme on l’a entendu, que les femmes savent moins bien les langues et que cela justifie l’écart salarial inexpliqué. C’est stupide. Ou alors, si cela devait être vrai, obligeons les entreprise­s à faire leurs analyses pour le prouver!»

Les partisans de la loi rêvent ainsi de voir une lame de fond se lever, semblable à celle qui a visé le harcèlemen­t à travers le hashtag #MeToo. «Je ne suis pas convaincue qu’il y ait un «gap» génération­nel sur le thème de l’égalité salariale, que les jeunes y soient moins sensibles. Mais pour les mobiliser, il faut trouver le moyen d’entrer en dialogue et la manière de porter une revendicat­ion commune», affirme la conseillèr­e nationale Rebecca Ruiz (PS/VD).

Troisième écueil: la mobilisati­on autour d’une thématique semble davantage dans l’ADN des Romands. Céline Amaudruz, vice-présidente de l’UDC, était contre le projet porté par Simonetta Sommaruga. Mais l’appel de la ministre à la mobilisati­on ne la laisse pas totalement indifféren­te. «Son projet était mauvais parce qu’il aurait débouché sur des mesures beaucoup trop bureaucrat­iques. Elle doit accepter que sa copie soit renvoyée en commission. Mais il reste important que les femmes se mobilisent pour l’égalité, qui n’est plus un thème de gauche ou de droite.»

Un passif qui pèse

L’égalité n’est certes plus un thème partisan, mais la manière de la réaliser reste différenci­ée selon les enjeux. A l’intention des élues de droite, femmes de gauche et du PDC rappellent le dossier de la réforme des retraites: le parlement veut convaincre le peuple de relever l’âge de la retraite des femmes à 65 ans? Eh bien qu’il consente à une avancée sur l’égalité salariale! Les femmes de droite répliquent que la gauche – qui n’a pas soutenu unanimemen­t ses dernières candidates au Conseil fédéral (Karin Keller-Sutter, Isabelle Moret) – n’a pas de leçons d’égalité à lui donner.

Entre les deux blocs, le passif pèse. L’enjeu de la remobilisa­tion consiste ainsi autant dans le fait de renouveler les codes que de valoriser la complément­arité des approches. La coprésiden­te d’Alliance F, Kathrin Bertschy (Vert’libéraux/BE), l’a bien compris: «Chacun a son rôle. Il y a ceux qui peuvent descendre dans la rue pour dire pourquoi ils sont énervés et ceux qui sont là pour expliquer et convaincre. Mais notre action n’aura pas l’effet recherché si elle n’est pas préparée et coordonnée.»

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(KEYSTONE/ ANTHONY ANEX) Une séance de tricot en forme de manifeste. C’était le 8 mars 2017 aux Chambres fédérales.

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