«Bannon peut apprendre de l’Europe»
L’historien spécialiste de la droite radicale Damir Skenderovic s’exprime sur la venue de l’ancienne éminence grise de Donald Trump à Zurich mardi, à l’invitation du conseiller national UDC Roger Köppel
Pour sa première tournée européenne, Steve Bannon a fait halte à Oerlikon, dans la banlieue de Zurich. L’ancien conseiller de Donald Trump s’est exprimé mardi soir devant quelque 1500 personnes, venues de toute la Suisse alémanique pour sa conférence «La révolte populiste et ses répercussions sur la Suisse, l’Europe et l’Amérique». L’ancien conseiller stratégique de Donald Trump et ex-rédacteur en chef de Breitbart News – un site à tendance suprémaciste et nationaliste – était invité par le conseiller national UDC Roger Köppel, rédacteur en chef de la Weltwoche. Sur scène, il a livré des salves contre l’UE et les élites, qu’il appelle «le parti de Davos». Il a aussi rendu hommage au stratège de l’UDC Christoph Blocher – «Doctor Blocher» –, qu’il dépeint en père de tous les populismes: «C’est par lui que la révolte a commencé, en 1992, lorsque cet homme s’est levé, seul, contre l’establishment. Il était Trump avant Trump! Ils l’ont calomnié. Mais votre liberté et votre prospérité ont pris forme dans ce mouvement pour la souveraineté», a déclaré le tribun américain devant un public acquis. Pendant ce temps, une centaine de militants de gauche se sont rassemblés devant la gare d’Oerlikon pour crier à Steve Bannon qu’il n’était pas le bienvenu en Suisse, brandissant des bannières «Dégage!».
Historien de l’Université de Fribourg, spécialiste de la droite radicale, Damir Skenderovic analyse le personnage dans son contexte.
Que représente Steve Bannon? Steve Bannon est devenu la figure de l’altright américaine, ou alternative right, un nom que la droite s’est donné elle-même. Ce terme, qui a émergé durant la campagne de Donald Trump, désigne une alternative à la droite classique du Parti républicain. Mais elle regroupe une mouvance très lâche et hétérogène allant du Tea Party aux néonazis. Limogé par la Maison-Blanche et par son propre média, l’ancien stratège du président américain cherche sans doute à consolider ses liens avec les mouvements de la droite populiste et nationaliste à l’étranger. Qu’est-ce qui réunit les droites radicales européennes et américaines? Le message anti-immigration, avec une vision xénophobe du monde. L’anti-establishment, avec le discours «nous contre les élites». Enfin, le nationalisme et le souverainisme, l’«America First» de Donald Trump, que l’on peut décliner dans tous les pays.
D’un côté, l’UDC prend ses distances avec les mouvements nationalistes européens, de l’autre elle invite Steve Bannon. Ce double discours décrédibilise-t-il le parti? Il fait partie de sa stratégie. D’un côté, l’UDC est un parti politique classique, représenté au gouvernement et au parlement. De l’autre, elle travaille à consolider un courant nationaliste xénophobe au sein de l’opinion publique, avec des médias comme la Weltwoche, organe médiatique de la nouvelle droite intellectuelle. Roger Köppel attire l’attention et participe ainsi à une transnationalisation de la droite populiste. Comme Oskar Freysinger lorsqu’il soigne ses contacts avec des figures comme Geert Wilders. Ces partis nationalistes, de leur côté, applaudissent chacune des victoires de l’UDC.
Steve Bannon à Zurich, mardi soir. HISTORIEN «Les partis nationalistes à l’étranger applaudissent chaque victoire de l’UDC»
Qui profite le plus de cet événement? Steve Bannon ou l’UDC? Alors que le mouvement populiste a commencé d’émerger en force en Europe dans les années 1990, aux Etats-unis, il n’en est qu’à ses débuts. Désormais, on observe en Europe une forme de normalisation du discours de la droite populiste. Ces partis se sont établis, on s’est habitué à leurs propos discriminatoires. Steve Bannon a plus à apprendre des droites populistes européennes que l’inverse.
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