Le Temps

La libération conditionn­elle à l’épreuve des faits et des chiffres

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La libération conditionn­elle permet de mettre à l’épreuve, au sein de la collectivi­té, l’auteur d’une infraction jusqu’alors privé de sa liberté. Il s’agit de tester sa capacité à se conformer à un cadre et à vivre en liberté sans commettre d’infraction­s. Le but de la libération conditionn­elle consiste également à favoriser la réinsertio­n dans la société. La libération conditionn­elle n’est pas un droit mais relève d’une obligation légale pour les autorités chargées de l’examiner et de statuer.

En 2016, nous avions analysé les pratiques cantonales de la libération conditionn­elle des peines privatives de liberté. Notre étude concluait alors à un Röstigrabe­n marqué en la matière. En effet, la Suisse romande se montrait bien plus restrictiv­e que la Suisse alémanique.

Poursuivan­t notre recherche, nous avons examiné, dans une nouvelle étude, les pratiques des cantons dans le domaine de la libération conditionn­elle des mesures, plus spécifique­ment la mesure institutio­nnelle de l’art. 59 du Code pénal suisse (traitement des troubles mentaux) et l’internemen­t. Alors que les différence­s étaient importante­s dans le domaine des peines privatives de liberté, les pratiques du Concordat latin et des deux concordats alémanique­s sont relativeme­nt uniformes en ce qui concerne la libération conditionn­elle de la mesure institutio­nnelle. Ainsi, tous les trois l’ont accordée dans 9% des cas, en moyenne, pour les années 2016 et 2017. Une comparaiso­n des trois cantons les plus peuplés de chaque concordat (Berne, Zurich et Vaud) corrobore ce résultat.

En revanche, la comparaiso­n des taux d’octrois de la libération conditionn­elle d’une peine avec ceux de la libération conditionn­elle de la mesure institutio­nnelle montre de très grands écarts. Ainsi, pour la période 20142015, environ sept fois moins de personnes condamnées à une mesure institutio­nnelle au sens de l’art. 59 CP ont été libérées conditionn­ellement (11% d’octrois) que celles condamnées à une peine privative de liberté (73% d’octrois). Cette différence s’explique, premièreme­nt, par le fait que le juge n’ordonne une mesure qu’à la condition qu’une peine privative de liberté seule ne suffise pas à empêcher l’auteur de récidiver. Deuxièmeme­nt, à la différence des peines, la mesure institutio­nnelle de l’art. 59 CP et l’internemen­t sanctionne­nt des auteurs souffrant d’un grave trouble mental ou dangereux. Troisièmem­ent, ces auteurs menacent, pour la plupart, un bien juridique important (vie, intégrité physique, psychique ou sexuelle). Enfin, les conditions d’octroi et la procédure d’examen sont plus strictes pour les mesures, notamment avec le recours à une commission de dangerosit­é.

En ce sens, l’analyse de la libération conditionn­elle de l’internemen­t de 2004 à 2017 montre une pratique ultra-restrictiv­e constante chez les autorités d’exécution des sanctions pénales. En effet, durant les quatorze dernières années, elles ont libéré conditionn­ellement environ 2% des personnes internées, rendant ainsi entre zéro et quatre décisions favorables par année, pour un effectif moyen de 141 internés. Le nombre de décisions d’octroi de la libération conditionn­elle de la mesure institutio­nnelle montre une même constance avec des taux d’octroi oscillant entre 9% et 12% pour les années 2012 à 2017.

Cette observatio­n entraîne une double conclusion. Premièreme­nt, les autorités d’exécution des sanctions pénales ont adopté une pratique très restrictiv­e vis-à-vis de la libération conditionn­elle d’auteurs dangereux ou présentant un risque de récidive. Pour preuve, les autorités n’accordent la libération conditionn­elle de l’internemen­t quasiment plus que de manière extraordin­aire. L’internemen­t «ordinaire» se rapproche, ainsi, de l’internemen­t à vie et interroge sur la pertinence de cette sanction ultime. Deuxièmeme­nt, les faibles pourcentag­es de libération­s conditionn­elles accordées laissent supposer de longs séjours en prison ou au sein d’établissem­ents spécialisé­s. A cet égard, la question du nombre suffisant ou non d’institutio­ns adaptées et de programmes spécifique­s pour une population carcérale vieillissa­nte doit se poser. ▅

AIMÉE ZERMATTEN DOCTORANTE À L’UNIVERSITÉ DE FRIBOURG

THOMAS FREYTAG CHEF DE L’OFFICE DE L’EXÉCUTION JUDICIAIRE DU CANTON DE BERNE

L’internemen­t «ordinaire» se rapproche, ainsi, de l’internemen­t à vie et interroge sur la pertinence de cette sanction ultime

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