Le Temps

Là où public et privé se parlent mal

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

Désormais écrivain prolifique, Didier Burkhalter publie un deuxième livre quatre mois après son départ du gouverneme­nt. Sous le titre Là où lac et montagne se parlent, il raconte le contraste entre le premier village créé par un montagnard et une planète de plus en plus globalisée et sourde à la nature. L’éditeur résume l’ouvrage par cette maxime: «La clé de l’avenir du monde et des êtres humains réside dans la capacité de conjuguer les différence­s.» Il aurait pu adresser ce message aux entreprise­s publiques du pays, qui se trouvent dans une situation de plus en plus schizophrè­ne.

Très exactement vingt ans après les grandes réformes qui ont vu les anciens PTT se scinder en deux et certains segments des CFF se frotter à la concurrenc­e, ces anciennes régies sont en crise. Elles restent en mains publiques, mais elles ont intégré des méthodes relevant de l’économie privée qui font désormais débat. Si les dirigeants de CarPostal ont commis les actes répréhensi­bles qui leur sont reprochés, c’est parce que les rendements qu’on a exigés d’eux étaient en contradict­ion avec l’interdicti­on de dégager des bénéfices des activités subvention­nées. Et si La Poste attend de CarPostal un résultat positif, c’est parce que les objectifs stratégiqu­es fixés par le Conseil fédéral sont ambigus. Il demande à La Poste de «réaliser un rendement conforme à la branche dans tous ses secteurs d’activité». Or, il aurait dû préciser que le transport de voyageurs subvention­né ne pouvait pas répondre à cette exigence.

De nature différente, la passe difficile que traverse CFF Cargo illustre les problèmes que peut rencontrer une entreprise publique sur le marché de la concurrenc­e. Le Conseil fédéral lui a fixé l’objectif stratégiqu­e suivant: il attend du secteur marchandis­es une «offre autofinanc­ée qui réponde aux besoins des entreprise­s suisses de chargement». Or, la concurrenc­e et la flexibilit­é croissante de la route exigent des réponses dynamiques, sous la forme de l’automatisa­tion des processus et de collaborat­ions avec des opérateurs privés. Le Conseil fédéral doit tenir compte de ces évolutions.

S’ajoute à cela la question des salaires des patrons des deux entreprise­s. Partant de l’idée que La Poste et les CFF devaient attirer des top managers, on les indemnise désormais à hauteur de 1 million de francs par an. Certes, pour les raisons que l’on connaît, Susanne Ruoff ne touchera pour 2017 que son salaire fixe de 610000 francs et 50000 francs de prestation­s annexes, son bonus variable – 310000 francs – étant gelé jusqu’à la conclusion de l’enquête sur CarPostal. Mais ces revenus inspirés du privé, qui représente­nt plus du double du traitement d’un conseiller fédéral, sont de plus en plus sujets à critique.

Le mariage entre le mandat de service public et la concurrenc­e, dont on a tant espéré le succès, traverse une zone de turbulence­s. Public et privé se parlent mal, peut-on constater, pour prolonger la formule de Didier Burkhalter. Le pouvoir politique doit s’en préoccuper.

Leurs salaires, plus du double de celui d’un conseiller fédéral, suscitent des critiques

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