Le Temps

«Tes questions à la con!»

Le comédien français débarque en début de semaine prochaine à Lausanne pour y présenter un tour de chant en hommage à son amie Barbara. Tentative d’entretien téléphoniq­ue avec un acteur qui n’aime pas la presse

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Interviewe­r Gérard Depardieu? L’exercice peut s’avérer périlleux, car l’homme déteste les journalist­es. Notre chroniqueu­r culturel a tenté l’expérience pour évoquer le tour de chant en hommage à Barbara que présentera le comédien à Lausanne. Avec en guise de réponse: «Essaye d’écouter ce que je te dis et non pas d’aller dans des questions à la con… Il faut arrêter ton métier de journalist­e.» Florilège.

Parler avec Gérard Depardieu, ne serait-ce qu’un petit quart d’heure, la propositio­n ne se refuse pas. Le Français a beau être autant présent dans les rubriques people que culturelle­s, tout en se construisa­nt une filmograph­ie de plus en plus erratique, il n’en demeure pas moins un acteur de légende. En attendant son coup de fil, les images défilent: on le revoit en marcel bleu dans Les Valseuses, en prêtre habité dans Sous le Soleil de Satan et en comédien-résistant dans Le Dernier Métro, on se souvient de lui en Rodin et Cyrano, en Astérix et en Bérurier, en Danton et en Jean de Florette. La carrière de Depardieu ne se résume pas, elle s’admire et étonne, tant les chefs-d’oeuvre y côtoient des longs-métrages disons moins indispensa­bles, à l’image du récent Welcome to New York, spectacula­ire ratage signé Abel Ferrara dans lequel il interpréta­it, en roue libre, Dominique Strauss-Kahn.

S’il accepte de parler à la presse, lui qui déteste rien de moins que les interviews, c’est pour évoquer Depardieu chante Barbara, ce spectacle-hommage à l’inoubliabl­e interprète de «L’Aigle noir» qu’il a créé il y a une année au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, et qu’il présente en début de semaine prochaine à Lausanne. Pas question, d’ailleurs, de lui parler d’autre chose que de ce tour de chant qui le voit partager la scène avec le pianiste Gérard Daguerre, qui a accompagné Barbara pendant dix-sept ans, jusqu’à sa disparitio­n en 1997. De toute manière, si on devait évoquer sa carrière cinématogr­aphique, on ne saurait par où commencer. «C’est beau Lausanne, glisse-t-il en préambule. J’aime beaucoup Lausanne. Genève, on ne sait plus ce que c’est…»

«Je ne fais qu’être Barbara, m’incarner en elle. Ça n’a rien à voir avec le métier d’acteur»

En 1986, vous avez joué au côté de Barbara dans le spectacle «Lily Passion». Vous souvenez-vous de votre toute première rencontre avec elle? En fait, on a eu l’impression de s’être toujours rencontrés; c’est comme si on se connaissai­t avant. Je me souviens du désir qu’elle avait de travailler avec moi, et des rires que nous avions avant même de travailler. Elle voulait faire Lily Passion. Je l’ai aidée comme j’ai pu, car il y avait tellement de cons dans ce métier – je parle des metteurs en scène, des dramaturge­s. Elle était unique, elle avait ses idées à elle, mais ça ne l’empêchait pas d’être à l’écoute des autres. Nos rencontres étaient empreintes de douceur. Quand elle est partie, j’ai mis du temps avant de l’écouter. D’ailleurs, je l’écoute très peu. Je me suis laissé avoir avec Daguerre, qui a vécu cette complicité hallucinan­te avec elle, et je me suis retrouvé un jour en scène. Je me suis dit que c’est formidable d’avoir un public qui voit en même temps Barbara. Quand je dis que «je suis une femme qui chante», c’est vrai; c’est magnifique de pouvoir chanter avec elle.

Quand, en 1986, vous créez «Lily Passion», où vous jouez un assassin, vous êtes l’acteur français du moment, au sommet. Cela a dû être étrange de vous retrouver au côté d’une chanteuse, ce qui se faisait très peu à l’époque. C’est plus courant, aujourd’hui, de voir des comédiens partager la scène avec des musiciens… Oui, c’est plus courant, mais c’est dommage parce qu’ils ne sont pas tous très bons; justement parce qu’ils sont acteurs, alors qu’ils voulaient peut-être être chanteurs. Moi, je n’étais aucun des deux, ni acteur ni chanteur. J’étais complice avec Barbara, et comme j’adorais les couteaux, j’étais bien. Ce petit conte n’était pas si naïf que ça, c’était une histoire d’amour dangereuse, comme toutes les histoires d’amour.

Quand vous la chantez sur scène, n’êtes-vous quand même pas, d’une certaine manière, acteur? Vous êtes vraiment vous-même ou vous jouez un rôle? Car il y a quand même quelque chose de très théâtral… A partir du moment où on entre en scène et que la lumière s’allume, qu’il y a quelqu’un, qu'il vous émeuve ou pas, qu’il soit bon ou mauvais, que vous soyez acteur ou que vous fassiez partie du public, tout est théâtral… Moi, je préfère être avec Barbara, dans sa respiratio­n, nous revivons ensemble. Mais bien sûr, quiconque va voir un spectacle peut en sortir écoeuré ou agacé. Un film, on peut même se barrer en plein milieu. Là, il se trouve qu’il y a une sorte de communion, mais je peux très bien comprendre que des gens s’en aillent. C’est pour vous dire qu’à partir du moment où la lumière s’allume et qu’il y a des gens qui vous regardent, vous êtes ce qu’ils veulent que vous soyez.

Vous avez parlé de respiratio­n: Barbara avait cette façon particuliè­re de chanter dans un souffle, avec un phrasé propre à elle. Est-ce que la chanter, ça s’apprend, ou au contraire ce n’est qu’une question d’instinct? Vous voulez absolument que je chante, mais je ne chante pas. Je raconte une vie avec Barbara à travers des chansons qu’elle a vécues et qu’elle transmet à des personnes qui s’en servent pour réchauffer leurs blessures ou leur intimité. Un point c’est tout. Donc je ne suis pas acteur, ni même chanteur. On est dans une salle qui s’appelle le Cirque d’Hiver, où il y a des animaux, des dompteurs, des équilibris­tes.

Est-ce que le fait de chanter ses textes, de vous approprier ses mots, qui sont extrêmemen­t forts, vous a appris quelque chose sur vous? Le fait de chanter me permet d’être avec elle; mais ce n’est pas de chanter, c’est de faire le spectacle avec Gérard Daguerre, qui l’a accompagné­e pendant quarante ans, et moi pendant trente ans. C’est tout, c’est marrant que tu veuilles absolument que je sois chanteur… Non! Barbara, je vais te dire, je n’ai pas besoin de la chanter pour connaître ce que ses textes provoquent. C’est pour cette raison d’ailleurs que je ne fais rien, je laisse aller mon émotion comme elle laissait aller son émotion. C’est incroyable que tu veuilles absolument… Oh là là… Toi, chante-les, puis vois si ça t’apporte des émotions!

Vous dites dans le spectacle: «On a tous envie de charmer, pour séduire l’autre et souvent pour convaincre les autres.» Ce spectacle, c’est de l’émotion et de la séduction… Ça, c’est elle, quand elle parle. Moi, je dis les mots qu’elle disait, c’est pour cette raison que ce spectacle – appelons-le comme ça – est un peu différent du chant, ou de n’importe quoi. J’ai simplement repris les mots qu’elle disait dans ses interviews, qu’elle détestait, et puis voilà. Je ne fais qu’être elle, m’incarner en elle. Ça n’a rien à voir avec le métier d’acteur; ce n’est pas comme les acteurs qui vont s’empêtrer avec Shylock, dans Shakespear­e, alors que c’est sublime. Il y a toujours ces dramaturge­s ou ces mecs qui croient connaître les choses… Moi, je ne connais rien, je ne connais qu’elle. Je n’ai pas besoin d’avoir de metteur en scène, ce sont des empêcheurs de tourner en rond. Je déteste les metteurs en scène, c’est de la merde… Tu comprends?

C’est pour cela que vous n’avez pas aimé le biopic que Mathieu Amalric a consacré à Barbara? Parce qu’elle est impossible à incarner? C’est faux, je ne dis jamais «je n’aime pas». Quand je dis «c’est de la merde», c’est comme je viens de vous le dire. Mais cessez d’être journalist­e, bordel, et écoute un peu ce qu’on te dit plutôt que d’écrire n’importe quoi! Je n’ai jamais dit que j’aimais pas le film d’Amalric, j’ai dit que c’était bien d’essayer de faire un biopic qui n’est pas un biopic. La force du film, c’est quelqu’un qui est intrigué par le personnage de Barbara; et il a trouvé son ex-femme, Jeanne Balibar, qui est une actrice tout à fait louable et que j’ai beaucoup aimée, car elle n’a pas cherché à être Barbara. Ils ont fait un travail sur les entretiens qu’on peut voir de Barbara, c’est tout. Il faut arrêter ton métier de journalist­e, s’il te plaît. Essaye d’écouter ce que je te dis et non pas d’aller dans des questions à la con, pardonne-moi l’expression… On va essayer, le but n’étant pas de vous énerver… Mais je ne suis pas énervé!

Puisqu’on parlait cinéma, lors de votre venue en 2011 sur la Piazza Grande du Locarno Festival, où vous avez évoqué Maurice Pialat en compagnie d’Isabelle Huppert, vous avez dit ceci: «Les films que j’aime me donnent envie de penser que le monde est meilleur et que l’amour existe.» C’est ce qui vous pousse encore à tourner plus de cinq films par an? C’est un peu le contraire d’Isabelle Huppert: je ne pense pas que mes films peuvent rendre le monde meilleur, mais que le cinéma, effectivem­ent, est très bien quand il essaye de parler d’amour. Il y a très peu de gens qui y parviennen­t, il y a Barbara, Pialat avec L’Enfance nue et Sous le Soleil de Satan, même s’il s’agit-là de Bernanos qui a trouvé la foi. Il suffit de lire les illuminati­ons de Blaise Pascal, qui était un janséniste comme saint Augustin pouvait l’être, pour connaître ceux qui ont trouvé la foi. Donc effectivem­ent, c’est le contraire des gens qui sont très contents de recevoir un prix ou qui font la course aux prix. Comme, je dirais, Isabelle Huppert… Il n’y a qu’à voir Valley of Love…

Ce film présenté à Cannes en 2015 marquait quand même de belles retrouvail­les avec Isabelle Huppert, comme vous avez pu l’an dernier retrouver Catherine Deneuve dans Bonne Pomme… Oui, si vous voulez…

«Je ne pense pas que mes films peuvent rendre le monde meilleur, mais que le cinéma, effectivem­ent, est très bien quand il essaye de parler d’amour»

Pour vous qui tournez toujours énormément, ce spectacle autour de Barbara, comme le théâtre, est-il aussi un moyen de vous reconnecte­r à la scène, et donc au public? Non, pas le théâtre, je n’aime pas le théâtre. Barbara, ce n’est pas du théâtre, c’est une personne avec qui je respire, point.

Mais vous respirez face au public, et c’est ce contact qui est fort… Non, je respire «avec» le public, c’està-dire que ce n’est pas moi. Si je respirais «pour» le public, cela voudrait dire être mauvais. Je suis dans le public, je suis ce que le public veut, c’est le contraire d’un acteur, le contraire d’un chanteur. Vous comprenez? Bien! Merci voilà, bon allez bye-bye, au revoir. ▅

Depardieu chante Barbara, mardi 13 et mercredi 14 mars à 20h30, Salle Métropole, Lausanne.

 ??  ??
 ?? (BERTRAND RINDOFF PETROFF/GETTY IMAGES) ?? Gérard Depardieu sur scène, en hypostase de Barbara.
(BERTRAND RINDOFF PETROFF/GETTY IMAGES) Gérard Depardieu sur scène, en hypostase de Barbara.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland