Les cantons à droite, les villes à gauche, mystère?
Dimanche dernier, les Zurichois renouvelaient leur municipalité et ils ont confirmé au pouvoir la confortable majorité de gauche qui gouverne la ville depuis maintenant vingthuit ans. Il ne s’agit pas d’un fait unique puisque toutes les autres grandes cités du pays connaissent la même situation. Il faut évidemment citer Genève, qui est dirigée par quatre représentants de la gauche et un seul de la droite. A Bâle, la proportion est de quatre contre trois, tout comme à Berne et à Winterthour. A Lausanne, qui détient la palme en cette matière, c’est six contre un. A Lucerne et à Saint-Gall, trois contre un. Ainsi, les plus grandes villes de Suisse sont toutes à gauche, sans exception. Sachant que les cantons qui ont ces villes pour capitale comptent des exécutifs à majorité de droite, à l’exception de Vaud, quelles explications invoquer?
Bien sûr, selon leur sensibilité politique, certains affirmeront que la gauche est meilleure gestionnaire, mais pourquoi à la ville et non pas au canton? D’autres argueront d’une modernité citadine qui rimerait avec gauche alors que le conservatisme rural correspondrait à la droite. Rien de tout cela n’est vraiment convaincant. Ce lundi, dans les colonnes du Temps, le politologue Michael Hermann expliquait que «la droite ne sent plus le pouls de la population urbaine», ce qui n’est pas faux, mais pourquoi au juste sinon parce que la démographie urbaine a profondément changé. Il l’admet d’ailleurs, en précisant que l’électorat de droite a déserté les villes, tels «le petit-bourgeois dont les parents étaient à gauche mais qui s’est mis à voter à droite contre l’immigration, le banquier conservateur, le salarié précaire». J’ignorais jusqu’ici que les petits-bourgeois venaient de milieux de gauche et que les salariés précaires composaient l’électorat historique de la droite, mais je ne suis pas politologue…
En réalité, les villes ont changé depuis trente ans. Autrefois bourgeoises et commerçantes (leur architecture en témoigne à l’envi), elles sont désormais vouées aux activités de services et en particulier à l’administration. A Lausanne, le taux des emplois liés à la fonction publique (y compris santé, social et enseignement) est passé de 27% en 1995 à 33% en 2014, pendant que les emplois industriels ont chuté de 18% à 10%, ainsi que le commerce d’ailleurs, passé de 15% des emplois à 9%. Ces changements dans l’offre d’activités professionnelles n’ont pas été sans conséquence sur la sensibilité politique de la population. En outre, le taux d’étrangers dans la capitale vaudoise est passé de 30% en 1990 à 43% en 2016, sans compter que plus de 20% des habitants de nationalité suisse sont nés hors de Suisse.
De façon générale et en résumé, la population urbaine, très particulièrement en Romandie, compte un nombre grandissant de gens enclins à voter à gauche: les jeunes (villes universitaires), les citoyens issus de l’immigration, les célibataires (même s’ils vivent en couple), la fonction publique. On y trouve aussi plus de personnes à l’aide sociale (8,8% à Lausanne, 6,7% à Genève) et au chômage (6,7% à Lausanne, 6,2% à Genève), naturellement préoccupées par les questions sociales, et convaincues que la gauche les résout mieux que la droite.
En outre, pendant le même temps que la démographie des villes changeait, la structure de l’électorat de la droite et de la gauche se modifiait. Les analyses réalisées après les élections fédérales montrent bien ce glissement. La gauche autrefois ouvrière est devenue toujours plus élitaire tandis que la droite convainc mieux qu’autrefois les classes moyennes et modestes. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner du fait que Zurich, bien que comptant beaucoup de contribuables aisés, vote toujours à gauche, puisque le revenu n’est plus ce critère déterminant entre les partis qu’il fut autrefois.
Pour toutes ces raisons, la droite peinera à regagner les villes, ce d’autant que la gauche sait se montrer plus unie et plus disciplinée dans ses stratégies de vote. ▅
MARIE-HÉLÈNE MIAUTON
mh.miauton@bluewin.ch