«L’atout de la Suisse est technologique»
PROMOTION ÉCONOMIQUE Le Greater Geneva Bern Area (GGBa) ressent déjà les effets de la réforme fiscale de Donald Trump. Mais la fiscalité n’est pas le seul argument de vente de la place suisse, soutient son directeur Thomas Bohn
Les grandes promesses fiscales de Donald Trump ont déjà poussé certaines entreprises à reconsidérer leurs désirs d’implantation en Suisse. Ce qui n’empêche pas Thomas Bohn de continuer à «croire en son produit» – la Suisse occidentale – pour séduire les entreprises du monde entier.
Le directeur du Greater Geneva Bern Area (GGBa) revendique 88 nouvelles implantations dans les cantons de Genève, Vaud, Valais, Fribourg, Neuchâtel et Berne en 2017; contre 42 en 2016. Une progression liée notamment à la comptabilisation des installations réalisées par les promotions économiques cantonales. A l’occasion du bilan annuel, Thomas Bohn, qui fait de la promotion depuis seize ans, dit vouloir «se distancier des chiffres» pour parler des extensions d’entreprises. Notamment celle du trader chinois Cofco, qui n’apparaissait sur aucune statistique.
Comment fait-on de la promotion économique à l’ère des grandes réformes fiscales de Donald Trump? Les entreprises ne viennent pas uniquement en Suisse pour la fiscalité. C’est une légende urbaine. Nous sommes d’ailleurs derrière l’Irlande, les îles Britanniques ou Dubaï dans ce domaine.
Mais là, on parle de New York, la Silicon Valley, c’est une autre dimension que Dubaï ou des îles plus ou moins exotiques… La Suisse n’est jamais en concurrence avec Dubaï ou ces îles exotiques pour l’implantation d’entreprises. Nous avons des conditions-cadres uniques à offrir, des infrastructures, des gens qualifiés. Les entreprises ne savent par ailleurs par encore comment la réforme fiscale américaine va se traduire précisément. Il y a encore beaucoup d’incertitudes.
Vous êtes en contact permanent avec toutes ces entreprises. Les promesses de Donald Trump ontelles déjà un impact? Prenons les dix projets les plus intéressants de notre pipeline américain. Suite aux réformes fiscales de Donald Trump, l’une d’entre elles, active dans les sciences de la vie, nous a annoncé qu’elle ne quitterait pas les Etats-Unis. Il y en a deux ou trois autres qu’on risque de perdre parce que les changements ont rendu les investissements sur place plus intéressants qu’à l’étranger. Mais, pour les six ou sept dossiers restants, la réforme fiscale n’aura pas d’impact. Le critère principal pour venir en Suisse est technologique.
Tout de même, il y a eu une série d’initiatives qui laissent planer de sérieux doutes sur ce que seront dans les prochaines années ces conditions-cadres… Il faut prendre un peu de recul. Nous faisons de la promotion économique dans les Etats-Unis de Trump, au Brésil, dans le Royaume-Uni du Brexit. Nous avons certes dû rassurer après l’échec de RIE III (la réforme sur l’imposition des entreprises, ndlr) en votation. Mais les entreprises étrangères sont bien conscientes qu’elles ne débarquent pas dans un no man’s land juridique. A Melbourne, je me suis retrouvé devant de potentiels investisseurs juste après le refus de l’initiative sur les six semaines de congé payé. Il n’y a aucun autre pays où l’on voterait là-dessus, et les Suisses ont eu l’intelligence collective de refuser le projet. C’est la beauté de la démocratie suisse.
Vous mentionniez le Royaume-Uni: êtes-vous en train de pêcher dans le contexte post-Brexit? Nous avons des touches sérieuses avec cinq ou six sociétés. Dont une compagnie néo-zélandaise d’e-commerce qui avait préféré s’installer au Royaume-Uni il y a 3 ou 4 ans et qui nous a réécrit. C’est la preuve qu’il faut toujours suivre la balle. La Suisse n’est pas dans l’Union européenne mais reste sa fiancée perpétuelle, alors que le RoyaumeUni est en plein divorce. Je préfère être la fiancée.
Comment vos «chasseurs» sélectionnent-ils les entreprises? J’ai un responsable de l’intelligence économique qui développe des algorithmes de veille des médias. Quand une entreprise annonce une levée de fonds pour son développement international, nous recevons un signal, analysons le potentiel, puis approchons la société. Si mes collaborateurs n’ont pas l’expertise suffisante dans la matière, nous nous appuyons sur l’écosystème d’experts helvétiques. Il s’agit de regarder à la loupe si le métier ou la technologie que les sociétés développent nous intéressent.
Cela veut dire que vous refusez des dossiers? Bien sûr! Nous pourrions faire venir plus de sociétés. Mais nous ne ciblons que celles qui peuvent se permettre une installation en Suisse: des entreprises innovantes qui ont une longueur d’avance et de réelles chances de succès. Nous cherchons les entreprises profitables et à fort potentiel. Nous ne sommes pas non plus là pour trouver de l’argent aux start-up étrangères, la levée de fonds leur serait d’ailleurs encore plus difficile en Suisse.
Le GGBa revendique 88 implantations en 2017. Une bonne année? Oui, mais il faut se distancier des chiffres. Notre métier est trop complexe pour être résumé par le nombre total d’implantations. Si nous n’en réalisons pas 89 l’année prochaine, est-ce que ce serait une catastrophe? Il y a aussi des sociétés implantées qui se développent comme Incyte (le groupe pharmaceutique américain a annoncé la construction d’une usine à Yverdon et déplacera son siège européen d’Epalinges à Morges, ndlr ) ou Cofco. Ce groupe agroalimentaire chinois a commencé par racheter les filiales de deux concurrents, avant d’implanter à Genève son siège international. C’est un grand succès qui a mis du temps à se concrétiser. Et cela pourrait pousser d’autres entreprises à s’intéresser à ce cluster. Je suis convaincu que la place du négoce va se renforcer à l’avenir.
Il y a pourtant eu des mouvements d’humeur de ce secteur. Les chinois d’Addax Petroleum sont partis, Vitol met en garde contre un éventuel durcissement réglementaire… Il faut toujours s’en inquiéter, et continuer à travailler pour améliorer les conditions-cadres. Il ne m’appartient cependant pas de commenter les décisions prises dans le cas d’Addax Petroleum, qui n’était d’ailleurs pas une implantation réalisée à travers le GGBa.
Vous allez donc continuer à miser sur les groupes chinois? Nous ouvrons un bureau à Shenzhen le 19 mars, le deuxième après Shanghai. Le but n’est pas de faire venir de la production de masse mais de se concentrer sur ces secteurs clés comme les drones ou les medtechs. Des secteurs à forte valeur ajoutée que Shenzhen et la Suisse ont en commun. Certaines sociétés sont complémentaires, d’autres vont participer à une émulation des clusters technologiques suisses. La Suisse est le seul pays d’Europe continentale à avoir un accord de libre-échange avec la Chine. ▅
«La Suisse n’est pas dans l’Union européenne mais reste sa fiancée perpétuelle, alors que le Royaume-Uni est en plein divorce. Je préfère être la fiancée»