Le Temps

Morgane Herculano, tremplin pour Harvard

La championne de Suisse est une collégienn­e brillante qui vient d’être admise à la prestigieu­se Université Harvard. Elle cherche un financemen­t pour pouvoir y exploiter son potentiel intellectu­el et athlétique

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Samedi 3 mars, Morgane Herculano a fêté ses 18 ans en remportant à la piscine de Mon-Repos, à Lausanne, les Championna­ts de Suisse juniors de plongeon, sur la planche à 1 mètre. Son quinzième titre national, toutes catégories confondues.

Le plongeon, c’est presque ce que cette fille qui respire l’intelligen­ce et la joie de vivre fait de mieux. Car son champ d’excellence ne se limite pas au sport. Elève en quatrième bilingue au Collège André-Chavanne, elle s’apprête à passer sa maturité avec un an d’avance, malgré un emploi du temps grevé par vingt heures d’entraîneme­nt hebdomadai­res. «Je parle aussi cinq langues», explique-t-elle. Elle ne se vante pas, parce qu’elle aurait pu y ajouter l’espagnol, qu’elle maîtrise sans (gros) problème.

Morgane Herculano est ce que l’on peut appeler une élève à très fort potentiel. Quelqu’un capable de réussir dans tous les domaines. C’est – momentaném­ent, n’en doutons pas – son problème: elle ne veut pas choisir. «Le plongeon est ma passion mais je sens que j’ai aussi des capacités intellectu­elles. A 18 ans, ce n’est pas le moment de sacrifier l’un pour l’autre.»

L’usage veut pourtant que l’on abandonne ses ambitions sportives au moment de l’entrée à l’université. En Suisse (comme en France), c’est le sport ou les études. «Si je vais à l’EPFL ou à Saint-Gall, je m’entraîne où? A Genève, l’université est très bien et la piscine aussi, mais il est très difficile de concilier les deux. J’aime mon sport, il m’aide à rester saine et à me fixer des objectifs, mais si je ne peux pas le pratiquer à fond, je préfère arrêter. Je ne pourrais pas me contenter d’un entre-deux et courir de l’uni à la piscine.»

85 000 dollars à trouver

Alors Morgane Herculano s’est tournée vers les université­s américaine­s, où les talents sportifs sont prisés, recrutés et financés par des bourses. Le résultat a dépassé de très loin ses espérances: elle a été sélectionn­ée par l’une des plus prestigieu­ses, Harvard. «Un soir, vers 22h30, j’ai reçu un téléphone d’une secrétaire qui m’expliquait très tranquille­ment que mon dossier avait été retenu. J’en ai pleuré de joie, j’avais l’impression d’avoir vraiment accompli quelque chose», se souvient-elle.

Harvard. L’université de Bill Gates et de Mark Zuckerberg, de huit présidents des Etats-Unis et de 82 Prix Nobel. Mais aussi l’une des seules qui n’offre (pratiqueme­nt) pas de bourse d’études. «Entre les frais d’écolage et de voyages pour les compétitio­ns de plongeon, je dois trouver 85000 dollars pour la première année, 300000 dollars au total», se désole l’adolescent­e. Aînée d’une fratrie de cinq, issue d’une famille de la classe moyenne, elle ne possède ni cette somme ni la culture américaine de l’endettemen­t.

Alors elle cherche des financemen­ts auprès de sponsors ou de fondations. Morgane Herculano a jusqu’au 30 avril pour rendre réponse à Harvard. «C’est fou, s’étonne-t-elle. Je ne suis qu’une petite collégienn­e à Genève et je me retrouve femme d’affaires à monter des dossiers et présenter des budgets.»

Bien sûr, elle pourrait aller dans une autre université américaine où elle serait boursière. «Mais ne pas aller à Harvard alors que j’en ai l’opportunit­é, ce serait…» Un gâchis. D’autant qu’elle a déjà visité le campus à Cambridge, Massachuse­tts. La fosse à plongeon est superbe, toute proche et réservée aux étudiants. Elle pourrait se consacrer pleinement à ce sport qu’elle aime tant, «parce qu’il associe courage et contrôle».

«L’entraîner fut un bonheur»

Dans l’attente, elle oscille entre les deux, avec des moments de doute et d’autres d’espoir. «Au fond de moi, je sens que je vais trouver une solution.»

Son entraîneus­e, Christiane Favia, s’est déjà résolue à la perdre. «L’entraîner fut un pur bonheur. Quel plaisir de travailler avec une fille qui essaye toujours de comprendre ce que l’on fait, qui l’intègre très vite et qui en retour vous donne des réponses qui vous obligent constammen­t à réfléchir pour lui proposer de nouvelles questions.»

A écouter les adultes qui l’encadrent, on croit lire le bulletin de notes d’une jeune fille modèle. Morgane Herculano est décrite comme «très intelligen­te», «sympathiqu­e», «modeste», «sérieuse». «C’est l’élève que l’on cite en référence, résume le doyen Christian Macherel, responsabl­e des classes bilingues au Collège André-Chavanne, à Genève. Morgane est portée par son éthique sportive. Et comme elle est brillante, elle est toujours à jour lorsqu’elle revient d’une compétitio­n. Nous la prenons comme exemple pour montrer à certains de nos professeur­s qu’encourager et accompagne­r ceux qui ont des capacités dans plusieurs domaines fait aussi partie de notre mission d’enseigneme­nt.»

S’organiser pour être efficace

André-Chavanne offre aux élèves qui pratiquent un sport à haut niveau un maître tuteur pour rattraper et un horaire aménageabl­e. Beaucoup étalent ainsi leur terminale sur deux ans. Pas Morgane Herculano, qui tient une moyenne générale oscillant entre 5,3 et 5,5 en ayant manqué un total cumulé d’un an de cours sur les quatre dernières années. Elle a de plus consacré une bonne partie de l’année 2017 à passer les multiples et exigeants tests, essais et entretiens d’entrée pour Harvard. Tous réussis, évidemment.

Son cas rappelle celui d’un autre sportif alliant études et sport au plus haut niveau. Un autre plongeur, un autre (ancien) élève de Genève Natation et d’André-Chavanne: Jonathan Suckow, champion d’Europe juniors à 1 mètre, étudiant à l’Université de Columbia. «Ce sont des jeunes gens qui ont su s’organiser dans la vie pour être efficaces», résume Christiane Favia, dont la méthode «pousse les enfants à être très autonomes et vise non pas un objectif de résultat mais un objectif de comporteme­nt».

Cette semaine, Morgane Herculano travaille comme hôtesse au Salon de l’auto. Ça ne suffira pas pour Harvard, pas plus que ses gains en compétitio­n. «En plongeon, on reçoit parfois une gourde ou une paire de tongs», plaisante-t-elle. Mais la vraie récompense est ailleurs: le plongeon est un tremplin pour la vie.

«J’aime mon sport, il m’aide à rester saine et à me fixer des objectifs, mais si je ne peux pas le pratiquer à fond, je préfère arrêter» MORGANE HERCULANO

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MOTTAZ) Morgane Herculano à la piscine de Varembé,à Genève.(EDDY

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