Le Temps

CLASSIQUE RENAUD CAPUÇON AU SOMMET

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

Extraordin­aire, la soirée hors abonnement de l’OSR l’aura été à plus d’un titre. Mercredi soir, l’hommage rendu par haut-parleurs à Jesus Lopez Cobos, tout récemment décédé, a ravivé son souvenir avant les premières notes. Et le témoignage d’affection réservé au hautboïste solo Jérôme Capeille, disparu il y a moins d’un mois à l’âge de 56 ans après une lutte courageuse et discrète contre le crabe, a ému le Victoria Hall de façon tangible. Après trente-quatre ans au service de l’orchestre, le départ du musicien à la voix douce et à l’accent chantant laisse un gros vide. Lorsque Renaud Capuçon lui dédie sa Mélodie de Gluck en bis, le silence se fait de cristal. Les regards se dérobent dans la salle et les visages se baissent sur scène. Musicaleme­nt, l’exception est aussi au rendez-vous dans deux des trois oeuvres au programme. On ne s’attarde pas sur le Beau Danube bleu de Johann Strauss. Sir Mark Elder ne manque pas d’atouts pour rendre une forme d’élégance et de bon ton dans le déroulé des mélodies, menées avec rondeur et chaleur. Mais dès la sortie de la rêverie initiale, la célèbre valse ne quitte plus des tonalités épaissies et une certaine lourdeur de jeu. La légèreté et l’esprit si viennois, l’autorité impériale des accents et l’ivresse contenue des élans n’ont pas leur place ici.

C’est Also sprach Zarathustr­a de l’autre Strauss, le grand Richard, qui emporte l’adhésion. A part certains décalages ou passages aux entrelacs relâchés, il faut saluer la constructi­on majestueus­e, la puissance et la diversité de palette des teintes.

Le chef pousse l’orchestre au maximum de son potentiel sonore quitte à déchirer l’oreille. Mais cette façon de plonger dans le feu, de soulever une lave compacte et d’ouvrir les chants à la lumière rend à la partition toute sa dimension herculéenn­e et épique. Reste la Symphonie espagnole de Lalo, que certains peuvent juger anecdotiqu­e. Renaud Capuçon prouve tout le contraire. L’archet enfoncé dans la chair du texte, le jeu tendu vers la hauteur des chants et la technique à la limite du possible, le violoniste libère une énergie du diable et s’engage physiqueme­nt, sans aucune réserve.

Lui qu’on a pu connaître dans un contrôle parfois rigide se révèle dans cette oeuvre solaire d’une liberté et d’une vitalité de jeu étourdissa­ntes. On le sent chez lui dans cette pièce qui lui sort des doigts avec un naturel saisissant. Quitte à déstabilis­er l’orchestre dans des traits très personnali­sés, Renaud Capuçon n’en demeure pas moins un interprète à l’écoute des autres. Qui sait s’intégrer au groupe quand et où la musique le demande. Un musicien décomplexé, au top de son art.

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