Le Temps

Avions de combat: parole au peuple

Le Conseil fédéral propose d’explorer une nouvelle voie. Pour la première fois, les Suisses sont invités à voter sur un cadre financier – 8 milliards de francs – et un principe – l’achat de nouveaux avions de combat et d’une défense sol-air

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Guy Parmelin a convaincu le Conseil fédéral d’innover sur le projet majeur de son départemen­t. Le gouverneme­nt a décidé vendredi d’ouvrir la voie à un scrutin populaire sur le renouvelle­ment des moyens de protection de l’espace aérien. Mais contrairem­ent à 1993 avec les F/A-18 ou 2014 avec les Gripen, le citoyen ne sera pas consulté sur un modèle et un nombre précis d’appareils, mais sur un principe et un cadre financier.

Le Conseil fédéral veut en effet agir via un arrêté de planificat­ion, un instrument prévu par la loi sur le parlement depuis une dizaine d’années, mais qui n’a encore jamais été utilisé. S’il est considéré de portée majeure, un arrêté de planificat­ion est soumis au référendum facultatif, ce qui est ici le cas.

La procédure peut surprendre. Le Conseil fédéral aurait pu également renoncer à un vote populaire et proposer l’achat d’avions à travers les processus d’acquisitio­ns ordinaires. Au final, il a décidé de «respecter l’esprit démocratiq­ue suisse», concernant un enjeu «essentiel» de la politique de sécurité.

Mais pourquoi ne pas passer par un fonds spécial portant sur l’achat d’un modèle précis comme ce fut le cas avec le Gripen? L’enjeu a changé, rappelle le conseiller fédéral Guy Parmelin, puisqu’il s’agit désormais de renouveler l’ensemble des avions de combat à dispositio­n des Forces aériennes, F/A-18 et Tiger F5. «Il ne s’agit ni plus ni moins que de décider si la Suisse pourra continuer à défendre sa population et si le pays disposera encore de moyens de défense aérienne. Il en va au final de l’existence de l’armée», explique l’UDC vaudois.

Mais l’instrument choisi répond aussi à des considérat­ions stratégiqu­es. En 2014, l’achat de 22 Gripen avait cumulé les opposition­s: au refus des milieux antimilita­ristes s’était joint celui des personnes doutant du choix de l’appareil suédois: pas assez performant, avion n’existant que sur le papier, etc. Un scénario que le Conseil fédéral veut éviter. «Il n’est pas question pour le Conseil fédéral que les préférence­s quant à un type d’avion interfèren­t dans le scrutin», affirme Guy Parmelin.

«Chèque en blanc»

Le Départemen­t de la défense enverra l’arrêté de planificat­ion en consultati­on cet été. Délégué pour le renouvelle­ment des moyens de protection de l’espace aérien, Christian Catrina précise: «L’arrêté contiendra ce que le Conseil fédéral a décidé en novembre dernier: le cadre financier de 8 milliards de francs, le principe de renouveler la défense sol-air (DSA) et d’acheter de nouveaux avions de combat, ainsi que le principe d’affaires compensato­ires à hauteur de 100% du prix d’achat.» La répartitio­n des moyens entre les jets et la DSA ne sera toutefois pas précisée. L’arrêté de planificat­ion étant mobilisé pour la première fois, les conséquenc­es d’un refus lors du vote sont également floues. Guy Parmelin ne s’avance pas. Il estime qu’il s’agirait d’interpréte­r le scrutin en fonction des arguments déroulés lors de la campagne.

La gauche réagit de manière courroucée. Le Parti socialiste parle d’un «simulacre de votation sur les forces aériennes» alors qu’en juin dernier au parlement fédéral, par une motion de groupe, il demandait lui-même au Conseil fédéral de présenter un arrêté de planificat­ion sur l’achat de nouveaux avions de combat. Les Verts souhaitent qu’un fonds soit institué, comme ce fut le cas avec le Gripen. «Le Conseil fédéral veut offrir un chèque en blanc de plusieurs milliards à l’armée pour la défense aérienne», dénonce Lisa Mazzone (Verts/GE), vice-présidente du Parti écologiste. Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), annonce déjà sa volonté de lancer un référendum, dénonçant la méthode choisie par le gouverneme­nt.

Avions testés en Suisse avant le vote

Mais l’enjeu principal lors du débat au parlement se posera sans doute en termes financiers. Le cadre financier de 8 milliards de francs répond à l’un des scénarios moyens élaborés par le groupe d’experts qui s’est penché sur le renouvelle­ment des moyens de défense aérienne. La droite pourrait être tentée de le revoir à la hausse, la gauche à la baisse.

Et tandis que le parlement débattra de l’arrêté l’an prochain, dans le même temps, à l’été, les modèles d’avions de combat qui intéressen­t le Conseil fédéral (Eurofighte­r, F/A-18 E/F, Rafale, Gripen et F-35) seront testés en Suisse. Arma Suisse a déjà pris les premiers contacts avec les cinq fournisseu­rs sélectionn­és et les Ministères de la défense concernés. Le DDPS n’a pas prévu d’informatio­n publique sur les résultats des évaluation­s des appareils avant le vote qui se tiendra avant fin 2020. «Mais même si ces résultats devaient être rendus publics par l’un ou l’autre moyen, cela ne voudrait encore rien dire, prévient Christian Catrina. Ce n’est pas forcément le meilleur avion lors des tests qui sera choisi. Le prix est aussi important». C’est ce qui avait notamment valu au Gripen, moins cher, de remporter l’adhésion du Conseil fédéral la dernière fois.

«Il n’est pas question que les préférence­s quant à un type d’avion interfèren­t dans le scrutin»

GUY PARMELIN, PATRON DU DDPS

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