Le Temps

Jean Todt, au volant onusien de la sécurité routière

«Les accidents de la route sont une pandémie au même titre que le sida, la tuberculos­e ou la malaria. Mais nous disposons de 1000 fois moins de soutien financier» Ex-copilote de rallye, l’ancien patron de l’écurie Ferrari est aujourd’hui l’envoyé spécial

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Au Palais des Nations à Genève, l'homme reste discret. C'est là qu'il a son bureau d'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la sécurité routière. Lui, c'est Jean Todt, un passionné de sport automobile qui a plusieurs années durant dirigé l'écurie Ferrari à Maranello au moment où le pilote allemand Michael Schumacher dominait la Formule 1. Ce Français né il y a 72 ans à Pierrefort, un village d'Auvergne, dans le Cantal, où une rue porte désormais son nom, est devenu de fait très Genevois par ses fonctions. Nommé par Ban Ki-moon en 2015, ce fils d'un médecin ayant quitté la Pologne à 18 ans pour venir en France est la figure onusienne de la sécurité routière.

1,3 million de morts par an

Président depuis 2009 de la Fédération internatio­nale automobile (FIA), installée à Vernier, cet ancien copilote de rallye n'est plus dans les paddocks des grands circuits de F1 où il était reconnaiss­able à sa combinaiso­n rouge de la Scuderia et à son casque à double antenne. Sa mission n'est plus d'encourager à aller le plus vite possible, mais de sensibilis­er les usagers de la route, piétons, motocyclis­tes, cyclistes, automobili­stes, à la nécessité d'agir de façon responsabl­e pour réduire le nombre d'accidents. Le Français, que la presse italienne dénommait le «petit Napoléon» quand il était chez Ferrari, prend sa nouvelle fonction onusienne très à coeur, prêt à bousculer les idées reçues en donnant des chiffres qui choquent: «Chaque jour dans le monde, la route tue 3500 personnes et en blesse 140000. En un an, ce sont 50 millions de blessés et 1,3 million de morts. C'est la cause de mortalité numéro un parmi les 15-29 ans.» Dans un petit film choc intitulé Save Kids Lives, le réalisateu­r Luc Besson, que Jean Todt connaît bien, le rappelle: 500 enfants meurent quotidienn­ement sur les routes en se rendant à l'école.

Celui qui, adolescent, bricolait déjà des voitures avec ses amis ne se voile pas la face: «Les accidents de la route sont une pandémie au même titre que le sida, la tuberculos­e ou la malaria. Mais nous disposons de 1000 fois moins de soutien financier que les moyens engagés pour lutter contre le sida.» Jean Todt, qui a découvert la «fascinante» machine onusienne avec sa fonction d'émissaire, se réjouit toutefois de la création, en avril prochain, d'un fonds onusien pour la sécurité routière qui sera alimenté par les membres de l'ONU et le secteur privé. Il le martèle: dans les pays en voie de développem­ent, qui recensent 90% des accidents de la route dans le monde, la recette pour réduire de moitié le nombre de victimes de la route est connue: utilisatio­n de la ceinture de sécurité à l'avant et à l'arrière, d'un casque homologué pour les motocyclis­tes, une vitesse adaptée, une conduite sans alcool et sans texto.

En tant qu'envoyé spécial de l'ONU, il se rend chaque année dans une cinquantai­ne de pays. Il était récemment au Kenya et en Ouganda, où il s'applique à mobiliser les gouverneme­nts pour qu'ils limitent l'hécatombe routière. Sa notoriété au sein du sport automobile l'aide dans ses démarches. «Je voulais parler de sécurité routière avec le président de l'Ouganda Yoweri Museveni. Mais il me parlait du pilote de rallye Hannu Mikkola, dont j'ai été copilote…» Blague à part, Jean Todt se félicite de l'initiative ougandaise SafeBoda, par laquelle les autorités ougandaise­s poussent ces «Uber locaux» de motos-taxis à former correcteme­nt les conducteur­s, à bien entretenir le boda, à porter le casque. «Tout cela est très bien. Mais beaucoup continuent de transporte­r quatre à cinq personnes à la fois», soupire l'émissaire onusien dans son spacieux bureau de la FIA. Quand il est à Genève, il n'oublie jamais de rendre visite à son ami Michael Schumacher. L'ex-star allemande de la F1 est toujours soignée à grands coûts dans sa demeure de Gland. Pudique, Jean Todt vient de le voir. Il n'en dira pas plus. «C'est très personnel.»

Proche d’Aung San Suu Kyi

Au mur de son bureau, plusieurs photos, dont une de la dirigeante et ex-dissidente birmane Aung San Suu Kyi, aujourd'hui fortement critiquée pour son silence face aux drame des Rohingyas. Jean Todt est lui-même président de la fondation Suu, établie aux Etats-Unis en son honneur. Son lien à la responsabl­e birmane qu'il voit régulièrem­ent tient beaucoup à son épouse, l'actrice et productric­e d'origine malaisienn­e Michelle Yeoh, qui a incarné Aung San Suu Kyi dans le film The Lady de Luc Besson.

Quand on lui demande s'il a déjà constaté des progrès, Jean Todt répond sans hésiter: «Il faut rester humble. Je parle toute la journée de sécurité routière et je trouve que mes interlocut­eurs sont plus à l'écoute que par le passé.» A l'heure du Salon de l'auto de Genève, il se félicite de l'avènement des voitures connectées et autonomes. Mais il ne se fait pas pour autant d'illusions: «Dans les pays en voie de développem­ent, la route est une souffrance. Ils n'en sont pas là.» Nombre de ces pays n'ont adhéré à aucune des convention­s de la route dont la Commission économique pour l'Europe est dépositair­e. Pour Jean Todt, il est urgent d'agir aussi en termes de trafic. Entre 1970 et 2015, le nombre de véhicules dans les pays développés a été multiplié par trois. «En 2030, deux tiers de la population vivront en milieu urbain. Cela a un impact évident sur la sécurité routière.»

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