La Suisse doit taxer le sucre, c’est une question de santé publique
Au cours du XXe siècle, les progrès de l'hygiène et de la conservation des aliments, une meilleure connaissance des besoins du corps humain et une meilleure diversité alimentaire ont eu un fort impact positif sur la santé. Depuis un certain temps, toutefois, l'on est passé, notamment parmi les jeunes, les personnes stressées et une partie des catégories défavorisées, de la «malbouffe» de la pénurie à une «malbouffe» de l'abondance.
Dans les pays industrialisés, nous mangeons deux fois trop de graisses saturées, de sucre, de sel, de produits carnés, et deux fois trop de tout. Désormais, ce style d'alimentation gagne rapidement du terrain dans les pays en développement, et les populations subissent en direct le contrecoup de leur spectaculaire entrée dans le monde du fast-food, sous forme de diabète, d'obésité et de maladies cardiovasculaires. Si bien qu'il y a aujourd'hui deux fois plus de personnes souffrant d'excès caloriques que de personnes ne mangeant pas à leur faim…
En 2016, l'OMS constatait que «la prévalence mondiale du diabète […] a presque doublé depuis 1980, passant de 4,7 à 8,5% de la population adulte» («Rapport mondial sur le diabète»). La maladie touche 442 millions de personnes, chiffre qui devrait atteindre 622 millions d'ici à vingt ans, et occasionne 5 millions de décès par an, davantage que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis. 80% de ces cas pourraient être évités, en particulier par une alimentation équilibrée.
Nous avons tout intérêt à changer de cap. Sauf que tous n'y ont pas le même intérêt financier. Le lobby des boissons sucrées, coresponsable de la surcharge pondérale d'un quart de l'humanité (40% en Suisse, une femme sur trois, un homme sur deux). Le lobby des médicaments, commerce bien plus lucratif que la prévention: en 2016, la vente d'antidiabétiques a rapporté globalement 44 milliards de dollars aux laboratoires pharmaceutiques (Le Monde du 15.11.2017). On a pu calculer que les montants que l'on pourrait économiser sur les coûts de la santé grâce à une meilleure alimentation suffiraient à nourrir tous ceux qui ont faim!
Se fondant sur l'expérience d'une trentaine de pays, l'OMS recommande aux Etats d'introduire une taxe sur la teneur en sucre des aliments industrialisés. Tout récemment, les Philippines et l'Afrique du Sud ont rejoint le mouvement; quant à la Grande-Bretagne, elle prélèvera une telle taxe dès ce mois d'avril, qui servira à équiper les écoles en installations sportives. Et en Suisse? Utilisant son droit d'initiative auprès des Chambres, le canton de Neuchâtel demande d'étudier «une taxe sur les sucres ajoutés lors des processus de fabrication» dont «les revenus […] seraient affectés à la prévention des maladies liées à la consommation de sucre et d'édulcorants».
Qu'en pense la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats, à qui cette intervention a été renvoyée? Rien de bon, puisqu'elle «propose, par 9 voix contre 0 et 2 abstentions, de ne pas donner suite à l'initiative. Elle estime en effet qu'une telle mesure ne devrait être examinée que s'il s'avérait que les efforts déployés actuellement par le Conseil fédéral et l'industrie alimentaire – notamment pour faire baisser l'ajout de sucre dans les yogourts, les céréales pour le petit-déjeuner et les boissons sucrées – ne sont pas efficaces», selon son communiqué du 16 janvier – sans dire le moins du monde comment cette (in)efficacité serait constatée, ni fixer d'objectifs à atteindre. Une posture qui rappelle furieusement les faux-fuyants qui ont longtemps empêché la lutte contre le tabagisme passif, exposant des millions de personnes à une nuisance attentatoire à leur intégrité physique.
Un programme cohérent devra associer des interdictions (par exemple de la publicité pour le sucre), des campagnes de prévention, l'intensification des engagements volontaires et la fixation de teneurs maximales en sucre. Taxer ces dernières en reste toutefois la clé de voûte et permettra de faire coup double: dissuader le consommateur et développer les actions de promotion de la santé.
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On est passé de la «malbouffe» de la pénurie à une «malbouffe» de l’abondance