Le Temps

Une fausse bonne idée

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Une loi ne fera pas tout. L’internaute doit se responsabi­liser

Vendre ses données à Google, Facebook ou Snapchat? Sur le papier, l’idée est extrêmemen­t séduisante. Ces géants de la technologi­e gagnent des milliards de dollars en exploitant des informatio­ns mises à dispositio­n gratuiteme­nt par des millions d’internaute­s, que ce soit via leur smartphone ou leur ordinateur. Et même parfois sans que ces utilisateu­rs soient pleinement conscients des informatio­ns précieuses qu’ils leur fournissen­t. Il est donc temps de faire payer ces entreprise­s, comme le suggérait récemment le groupe de réflexion français Génération libre.

Cette idée de prime abord intéressan­te risque en réalité de créer une situation pire encore que celle qui prévaut aujourd’hui. Car si l’internaute vend ses données à un fournisseu­r de services, il n’aura sans doute plus aucun moyen de contrôler ce que cette entreprise en fera. Et surtout à qui elle les revendra par la suite. On risque ainsi de se retrouver dans une situation proche de celle qui existe aux Etats-Unis, où les internaute­s, et même les simples utilisateu­rs de cartes de crédit, acceptent docilement – sans en réalité en avoir le choix – que leurs informatio­ns soient analysées, revendues et exploitées par des entreprise­s avec lesquelles ils n’ont aucun contrat.

Qui dit vente de données suppose perte totale de maîtrise sur celles-ci. Et, au final, avec quel bénéfice pour l’internaute? Génération libre se garde d’articuler un chiffre. En début d’année, l’ancien député socialiste Julien Dray évoquait le montant de 50000 euros que Google, Amazon, Facebook et Apple verseraien­t à chaque Français atteignant l’âge de 18 ans. Voilà qui semble bien peu réaliste et impossible à mettre en oeuvre. Il serait préférable – mais les lignes bougent trop lentement dans ce dossier majeur – que les entreprise­s technologi­ques voient déjà leurs bénéfices taxés de manière juste dans chaque pays, et sans dumping exacerbé entre Etats.

Difficile d’un point de vue quasi philosophi­que, impossible du point de vue pratique, l’idée de vendre des données à Facebook ou Google ne doit pas faire oublier que ces entreprise­s fournissen­t, en échange, des services précis et précieux. Alors autant encadrer leurs activités de manière claire, comme le prévoit, en Europe, le futur Règlement général sur la protection des données, applicable dès le 25 mai.

Ce règlement européen, dont la Suisse s’inspirera en grande partie pour sa nouvelle loi sur les données, aura le mérite d’imposer, sur le continent, les mêmes règles aux géants américains actifs ici. Mais une loi ne fera pas tout. Les internaute­s doivent être, individuel­lement, conscients de toutes les données qu’ils livrent en permanence à ces sociétés et les restreindr­e au maximum. Mais cela suppose un niveau de connaissan­ces numériques toujours plus élevé…

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland