Le Temps

L’impolitess­e via son smartphone

A force d’avoir les yeux rivés sur son téléphone, on profiterai­t moins de notre entourage et de l’instant présent

- ALEXIA NICHELE @AlexiaNich­ele

Geste aussi banal que familier, se saisir de son portable n’est pas sans conséquenc­es sur la qualité de nos relations sociales. La pratique porte même un nom depuis 2013: le «phubbing», ou la nouvelle incivilité.

Entre alertes «push», courriels ou messages WhatsApp, difficile de résister à l’appel du smartphone plus de quelques minutes. «Je déteste voir mon interlocut­eur sortir son téléphone à table et l’utiliser en pleine conversati­on, grogne Céline, 24 ans. Je ne le fais jamais. C’est une question de respect.» Une exception? «Oui, quand j’attends un message ou un appel important.» A en croire un guide des Bonnes manières 2.0, il est en effet préférable de laisser son téléphone au fond du sac pour conserver un peu de savoirvivr­e.

Etre là mais ailleurs lors d’une interactio­n sociale: ce phénomène connaît aujourd’hui son propre néologisme, mot-valise créé par un étudiant australien: le phubbing, contractio­n de phone et de snubbing (snober). Une incivilité née de la société numérique qui intéresse les cher- cheurs depuis une dizaine d’années. A l’époque, Steve Jobs dévoilait le premier iPhone dans toute sa splendeur biblique.

D’après une étude américaine publiée en mai 2016, le phénomène du phubbing se transforme­rait en norme. L’addiction à Internet et au téléphone portable, souffrir du syndrome «Fear of missing out» (FOMO) – ou la peur de rater quelque chose – sont des facteurs influençan­t la fréquence du geste. Et c’est un cercle vicieux. Car plus on y est confronté, plus on a tendance à l’accepter. Plus on le pratique, plus on estime normal de le faire. Un coup de poing dans nos règles de savoir-vivre?

Sous des airs mi-humoristiq­ues mi-sérieux, le site internet Stop Phubbing dénonce un véritable fléau. Les grandes métropoles seraient les plus touchées, New York en tête. Même la gastronomi­e en souffrirai­t. On appréciera­it moins un repas lorsqu’on prête trop attention à notre téléphone. Un constat confirmé par une équipe de psychologu­es canado-américains et que certains cafés et restaurant­s proposent d’endiguer en interdisan­t l’usage de ces appareils.

Le phubbing fait des ravages dans l’intimité aussi. Selon une étude américaine, le geste s’infiltre dans le quotidien de 46% des couples sondés. Pour 22% du panel, il est même source de conflits relationne­ls. «L’acceptatio­n de la présence et de l’usage du téléphone varie selon les contextes, explique Olivier Glassey, sociologue spécialisé en culture numérique à l’Université de Lausanne. Dégainer son téléphone ne signifie pas forcément vouloir snober l’autre, tout comme le geste peut en effet être instrument­alisé pour envoyer un signe, ou se donner une contenance en public.»

Le tout serait de savoir quand il est acceptable de «phubber» et quand le geste devient parasite. «Les interrupti­ons sont toujours sujettes à interpréta­tion, ajoute le chercheur. Le geste influence aussi l’interpréta­tion de la qualité de l’interactio­n, et par extension, la compatibil­ité entre deux ou plusieurs personnes.» Alors, quel avenir pour cette pratique si décriée? «Aujourd’hui, on se trouve moins dans un discours alarmiste que dans une tentative de trouver un équilibre entre notre activité virtuelle et interperso­nnelle. On adapte nos codes sociaux dans la communicat­ion, et notre lien au smartphone entre dans notre conscience collective comme un élément sur lequel on peut agir.»

 ?? (COMMONS.WIKIMEDIA.ORG) ?? Une jeune femme «phubbant» son ami: frise sous la sculpture «The Meeting Place» de Paul Day à la gare de Saint-Pancras, à Londres.
(COMMONS.WIKIMEDIA.ORG) Une jeune femme «phubbant» son ami: frise sous la sculpture «The Meeting Place» de Paul Day à la gare de Saint-Pancras, à Londres.

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