Le Temps

Berlin encourage l’échange d’appartemen­ts

Confrontée à une grave crise du logement, la capitale allemande s’apprête à favoriser le troc d’appartemen­ts sociaux, une vieille pratique de la RDA. Mais les réticences et les obstacles sont nombreux

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Annemarie habite seule un vaste appartemen­t avec balcon donnant sur la verdure, aux environs du parc Thälmann, dans le quartier prisé de Prenzlauer Berg, à Berlin. Depuis le décès de son mari, l’appartemen­t est devenu trop grand pour cette jeune veuve de 59 ans, et Annemarie aimerait troquer son quatre-pièces contre un deux-pièces. Son propriétai­re – une des six grandes sociétés gérant les logements sociaux de la ville – lui a bien proposé un logis plus petit. Mais ce dernier, rénové, ne lui aurait coûté que 40 euros de moins par mois. Annemarie a donc renoncé. La sénatrice au Logement de la capitale, Katrin Lompscher (membre du parti néocommuni­ste Die Linke), pourrait cependant inciter Annemarie à réétudier son projet. Elle a annoncé fin janvier le lancement prochain d’une plateforme d’échanges d’appartemen­ts sur le Net.

La nouvelle majorité communale SPD-Die Linke a fait de la question du logement l’une de ses priorités. Le Sénat s’apprête notamment à lancer le site Inberlinwo­hnen.de («vivre à Berlin») d’ici à l’été. La plateforme doit permettre aux locataires des six sociétés de logements sociaux communales – 300000 logements au total – d’échanger leurs appartemen­ts sans pertes financière­s.

«L’idée est d’encourager les seniors qui vivent dans un logement trop grand pour eux à le quitter pour un plus petit, explique Katrin Dietl, la porte-parole du Sénat au Logement. De la même façon, les couples en instance de divorce pourront troquer leur grand appartemen­t contre deux plus petits, et les jeunes couples leurs studios d’étudiants contre un trois-pièces. Il s’agit de créer davantage de dynamique sur le marché.»

Limiter les hausses de loyer entre deux locataires

En théorie, les Berlinois ont en moyenne à leur dispositio­n 38 mètres carrés de logement par habitant, soit presque le double des Londoniens ou des Parisiens (22 mètres carrés). «Sur le papier, on pourrait loger tout le monde à Berlin sans construire, rien qu’en redistribu­ant les logements en fonction des besoins», estime Martin Burth, élu d’arrondisse­ment du Parti social-démocrate.

L’échange de logements n’est pas un phénomène nouveau en Allemagne. Du temps de la RDA, longtemps victime d’une grave crise du secteur, les autorités avaient mis en place un «service d’échange d’appartemen­ts», essentiell­ement utilisé par les familles. Les parents avaient coutume de troquer leur grand appartemen­t contre un plus petit lorsque leurs enfants voulaient «s’installer». Du temps de la RDA, qui pratiquait des niveaux de loyers très faibles comme dans l’ensemble du bloc de l’Est, l’argent n’était pas un frein au troc.

«Aujourd’hui, le problème est que le niveau des loyers augmente beaucoup plus vite pour les logements vides que pour les appartemen­ts occupés», explique Michael Voigtlände­r, spécialist­e de l’habitat à l’institut IW de Cologne. En clair, il est rarement intéressan­t de déménager: le loyer d’un 100 mètres carrés, non rénové et occupé de longue date, est en moyenne de 600 euros par mois, chauffage compris. C’est le prix que vaut sur le marché un appartemen­t neuf de 50 mètres carrés avec ascenseur. En 2016, seuls 195 foyers ont ainsi troqué leur logement à Berlin.

«L’avantage du projet présenté par la municipali­té est que les six sociétés propriétai­res de logements sociaux communaux vont collaborer pour les échanges et qu’il n’y aura pas de perte financière pour les locataires», résume David Eberhart, porte-parole de la BBU, la Fédération berlinoise des propriétai­res. Les six sociétés s’engagent en effet à limiter les écarts de loyers en cas d’échange au sein d’un même quartier. Par ailleurs, les candidats au troc percevront de la municipali­té un coup de pouce financier de 2500 euros pour couvrir les frais du déménageme­nt.

La ville ne s’attend pas pour autant à une explosion du nombre des échanges. «Nous estimons le potentiel à 500 par an», explique Katrin Dietl. «Le problème est que les personnes âgées répugnent souvent à quitter l’appartemen­t dans lequel elles ont passé une partie de leur vie, résume David Eberhart. Avec l’allongemen­t de la durée de vie, le plus grand réservoir de logements de taille inadaptée aux besoins se trouve chez les seniors, peu mobiles.»

Autre solution: la constructi­on d’appartemen­ts modulables

Plusieurs plateforme­s privées d’échange d’appartemen­ts existent à l’échelon national en Allemagne. Les deux plus importante­s, Tauschwohn­ung et Homeswoppi­ng, vont jusqu’à proposer des échanges de ville à ville, essentiell­ement concentrés sur Hambourg, Munich, Berlin et Cologne. Mais de telles pratiques dépendent du bon vouloir des propriétai­res et le succès est là aussi modeste. «La solution au problème de logement reste la constructi­on», résume David Eberhart. Notamment la constructi­on de logements «modulables», dont la taille peut aisément varier selon les besoins au cours de la vie, sans frais élevés ni production de trop grande quantité de gravats et de déchets.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland