Le Temps

Les non-dits sur la réintroduc­tion du lynx

- ANNE-MARIE GRAND, GRUGNAY

A l'occasion de la journée pour la protection des prédateurs en voie d'extinction, vous nous avez présenté comme une sucess-story et un symbole d'espoir la réintroduc­tion réussie du lynx boréal en Suisse. Permettez-moi d'apporter un petit bémol à votre enthousias­me charmant. Je vis dans une région où, enfant, j'ai pu admirer des hardes de chamois comptant jusqu'à 90 têtes courant joyeusemen­t dans les pentes abruptes de nos montagnes. […] Puis sont arrivés les prédateurs. Quelques-uns pour commencer. Lynx, loup. La population de chamois s'est doucement et inexorable­ment réduite au fil des ans, pour finir par n'être à l'automne passé qu'une peau de chagrin. Si d'autres facteurs sont peut-être en jeu, on ne peut nier que la présence d'une famille de lynx soit la principale cause de cette hécatombe. Maman lynx a découvert la nurserie des chamois. Année après année, elle s'attaque aux jeunes et aux nouveau-nés. Et la population vieillit fatalement. Pour informatio­n, un lynx adulte a besoin pour se nourrir de 50 à 60 bêtes par année. Pour cinq individus, cela représente 250 bêtes au minimum. […] Vous dites élégamment que la réintroduc­tion du lynx est source d'espoir. Mais pour qui? Pour les grands félins d'Asie et d'Afrique? De quelle biodiversi­té parlerons-nous quand le chamois sera effectivem­ent en voie d'extinction dans nos régions? Et si «l'histoire montre qu'il est possible pour l'être humain de cohabiter avec des grands prédateurs…», pensez-vous qu'il en aille de même pour les autres espèces, celles dont le malheur est d'appartenir à la catégorie des proies? […] Le bon sens voudrait que l'on puisse réguler les prédateurs là où leur présence menace d'abaisser trop fortement les population­s de chevreuils et de chamois.

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