Le Temps

MiFID II joue les «Big Brothers»

Depuis le 3 janvier, les collaborat­eurs du monde de la finance sont encore plus surveillés qu’auparavant. Toutes les communicat­ions en lien avec des transactio­ns doivent être enregistré­es et stockées

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Depuis le 3 janvier, certains intermédia­ires suisses ont choisi de se soumettre à la directive européenne sur le marché des instrument­s financiers, MiFID II. Il s’agit essentiell­ement des banques ou gérants possédant une importante clientèle européenne, ou qui craignent des procédures juridiques lancées depuis l’Union européenne (UE). Avec l’objectif de protéger le client, la directive fixe des exigences de transparen­ce et de traçabilit­é des transactio­ns financière­s, mais aussi en matière d’enregistre­ment et d’archivage des communicat­ions entre clients et collaborat­eurs.

MiFID II couvre donc tout ce qu’échangent des banquiers/ conseiller­s/traders et clients concernant l’offre et l’acceptatio­n d’ordres, mais aussi le conseil en investisse­ment (car il peut déboucher sur une transactio­n du client).

Et WhatsApp?

Les supports classiques comme les appels téléphoniq­ues et les messages électroniq­ues sont déjà enregistré­s dans les banques suisses. On assiste maintenant à un élargissem­ent du spectre des outils concernés, vers des services de messagerie comme WhatsApp (qui est en outre crypté…) ou les messages qu’il est possible d’échanger sur des sites comme LinkedIn, le service de contacts profession­nels.

Toute informatio­n transmise au client, aussi bien par des collaborat­eurs fixes que des consultant­s, que ce soit de manière orale ou écrite, doit être documentée et archivée. Les données doivent être conservées pendant cinq ans et les clients doivent être informés qu’ils sont écoutés.

L’opération permet aussi à la banque ou au gérant de se protéger, en montrant que le client a reçu toutes les informatio­ns pertinente­s pour décider d’investir ou non. Sur les coûts d’une opération, sur les frais engendrés notamment. En bref, il s’agit de pouvoir démontrer que le client n’a pas été forcé à investir, particuliè­rement en cas de litige postérieur, lorsqu’un produit financier n’a pas fourni les performanc­es espérées, ou plus prosaïquem­ent, a explosé. On voudra dans de tels cas à tout prix éviter que ce soit la parole du client contre celle du conseiller ou trader.

Anti-délit d’initié

Dans des cas plus extrêmes, un intermédia­ire financier voudra se protéger contre un soupçon de soupçon de délit d’initié, par exemple si l’un de ses traders reçoit une informatio­n d’une source inconnue, quelques minutes avant une importante annonce d’une entreprise cotée. Comment faire si cette informatio­n ne lui est pas transmise sur un support enregistré, comme son téléphone ou sa messagerie profession­nels?

«A posteriori, il faut pouvoir retrouver une informatio­n précise dans ce flot de données, écrites ou audio, qui sont soit structurée­s (les ordres d’opérations et les transactio­ns elles-mêmes) et soit non structurée­s (messages, e-mails, chats etc.)», résume Matt Smith, qui dirige Steeleye, une entreprise informatiq­ue basée à Londres. Au-delà des aspects technologi­ques, «le premier principe consiste à établir une politique, en définissan­t quels outils peuvent être utilisés pour des communicat­ions liées à des transactio­ns – et lesquelles sont interdites», poursuit l’ancien de Bloomberg et de Noble Group.

Récemment de passage à Genève, il estime que la plupart des banques locales sont relativeme­nt prêtes quant aux exigences d’enregistre­ment, mais moins sur le stockage des données, «qui doit être effectué de manière électroniq­ue, disponible en ligne, lisible par une machine, et dont le contenu doit être inaltérabl­e». Dernier point à avoir en tête selon Matt Smith, les opportunit­és commercial­es qui peuvent être tirées de l’utilisatio­n fine des données enregistré­es, «par exemple en mesurant le pourcentag­e de retours obtenus lors d’une action commercial­e, grâce à une analyse des comporteme­nts («behavioral analytics»)».

Utiliser les smartphone­s des clients

Un autre type de solution peut passer par le bon vieux smartphone des clients. «Une option, pour s’assurer que le client a bien validé un ordre consiste à lui envoyer les documents nécessaire­s sur son téléphone, via une app qui lui permettra de les signer de manière sécurisée et les renvoyer», explique Olivier Adler, qui dirige la start-up Signatys.

«L’objectif est de capter les décisions critiques, en évitant les documents papiers signés sur par les clients et les appels téléphoniq­ues, dans lesquels il est pus difficile d’accéder au contenu», explique encore le cofondateu­r de la start-up, qui affirme compter une petite dizaine de banques parmi sa clientèle. La réticence se trouve surtout du côté des clients, conclut Olivier Adler: sont-ils prêts à recevoir des documents sous forme numérique? Sont-ils capables d’utiliser l’app sur leur smartphone?

Finalement, est-ce que tout le monde, dans le monde financier, sera encore plus surveillé grâce à MiFID II? Tout d’abord, toutes les banques suisses n’appliquero­nt pas la directive, rappelle l’avocat genevois François Rayroux, qui relativise également l’importance des enregistre­ments dans MiFID II: «les éléments centraux du texte sont la catégorisa­tion des clients, la «suitabilit­y» (l’adéquation d’un produit financier au profil d’un client), la transparen­ce sur les coûts ou les règles sur les rétrocessi­ons».

La LSFin ne prévoit pas d’enregistre­ment

En outre, «les enregistre­ments sont déjà la norme dans les salles de marché en Suisse, poursuit le spécialist­e en droit bancaire. Mais pour enregistre­r un client privé, l’usage dans notre pays est déjà d’informer les clients, afin d’éviter tout risque pénal, et de régler l’accès aux enregistre­ments de même que la durée de leur conservati­on. Ce point semble être totalement acquis dans la pratique en Suisse: les banques informent déjà leurs clients des enregistre­ments, soit dans les conditions générales, soit dans les mandats». Dernier détail, la future Loi sur les services financiers, LSFin, qui transpose en droit suisse MiFID II, ne prévoit pas d’enregistre­ment.

Les appels téléphoniq­ues et les messages électroniq­ues sont déjà enregistré­s dans les banques suisses. Au tour maintenant de WhatsApp (qui est en outre crypté...) ou de LinkedIn. Les supports classiques comme les appels téléphoniq­ues et les messages électroniq­ues sont déjà enregistré­s dans les banques suisses

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(MARTIN RUETSCHI/KEYSTONE)

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