Le Temps

Le facteur sonne toujours deux fois

- RESPONSABL­E DES INVESTISSE­MENTS, SYZ AM

Petit retour arrière… Il y a un peu plus d’un mois, on a assisté au grand retour de la volatilité. Les marchés avaient en effet été soudaineme­nt effrayés par une progressio­n plus forte que prévu des salaires aux Etats-Unis: 2,9% en variation annuelle. Soit le niveau le plus élevé depuis 2009 mais encore très loin des 4-5% de croissance qu’ils enregistra­ient lors des précédente­s reprises économique­s. Ça eut (mieux) payé (de travailler) comme aurait pu le dire un humoriste à une certaine époque.

Qu’importe, ni une, ni deux, les marchés ont vu là le signe ultime, la preuve irréfutabl­e du fait que l’inflation était à notre porte et que les banques centrales, l’américaine en tête, les autres juste derrière, allaient devoir remonter les taux à toute vitesse pour empêcher l’inflation, le pire ennemi du capital, de se développer. Le scénario boucle d’or n’avait plus qu’à se rhabiller et les gérants obligatair­es se chercher un nouveau travail.

Pendant ce temps, les actions plongeaien­t – littéralem­ent — car même si elles tendent à offrir, sur le long terme, une des meilleures protection­s contre l’inflation (la bourse de Caracas est en hausse de 300% depuis le début de l’année…), à court terme les évaluation­s doivent s’ajuster à la baisse puisque les taux remontent. C’était donc la mort annoncée de TINA («There Is No Alternativ­e») et des ratios prix-bénéfices gonflés à coup d’assoupliss­ements quantitati­fs et de taux d’intérêt nuls voire négatifs. Bref, tout le monde aux abris et sauvez ce que vous pouvez…

Cinq semaines plus tard, force est de constater que le marché, et donc les investisse­urs, aime toujours autant se faire peur: les chiffres de l’emploi publiés vendredi aux Etats-Unis font état d’une progressio­n annuelle des salaires qui s’établit dorénavant à 2,6%. Encore plus ironique, le chiffre du mois passé a même été revu à la baisse. Et ce malgré plus de 300 000 emplois créés le mois dernier, un taux de chômage qui frôle les 4% et une expansion économique qui va fêter ses neuf ans.

Que s’est-il passé sur les marchés entre-temps? Comme l’on pouvait (ne pas) s’y attendre: les taux ne sont pas remontés beaucoup plus haut. Ils ont même pas mal baissé, de nouveau en Europe, où la BCE a redit jeudi passé que l’inflation n’était toujours pas, pour l’instant, une de ses préoccupat­ions et que, par conséquent, il n’y avait pas d’urgence à normaliser sa politique monétaire. Dans ce contexte, les actions se sont stabilisée­s en Europe et ont déjà récupéré une bonne partie de la baisse aux Etats-Unis.

C’est bien beau l’histoire, mais à quoi peut-on s’attendre – raisonnabl­ement – dans les mois qui viennent? L’inflation va se rapprocher progressiv­ement de la cible des banques centrales (mais elle ne deviendra pas incontrôla­ble), ces dernières normaliser­ont donc progressiv­ement en phase avec la croissance nominale (elles ne seront pas «behind the curve» ou en retard) et les valorisati­ons devront donc, il est vrai, baisser quelque peu (mais nous ne sommes pas au début d’une majeure et durable baisse des marchés car la croissance des bénéfices restera soutenue).

Cette phase d’ajustement, liée à la sortie de la répression financière qui a suivi la grande crise de 2008-2009, a donc déjà commencé et devrait être en théorie très graduelle. Mais, en pratique, il faudra dorénavant s’attendre à des à-coups plus ou moins violents, des peurs parfois exagérées et des craintes souvent infondées. Autant d’opportunit­és pour ceux qui sauront garder la tête froide et naviguer tactiqueme­nt à travers ces marchés en dents de scie.

Comme le facteur sonne toujours au moins deux fois, il y a fort à parier que le démon de l’inflation et la grande remontée des taux d’intérêt qui y est associée reviendron­t hanter le marché ces prochains mois.

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FABRIZIO QUIRIGHETT­I

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