Ce qu’il faut savoir et ce qu’il faut ignorer
Un peu de modestie... Il est parfois préférable de profiter des quelques rares certitudes de la théorie financière et de les utiliser de façon disciplinée plutôt que de trop écouter l’industrie financière, explique l’ancien chef économiste d’UBS
D’un côté, les rêves de gains faciles, de l’autre les annonces d’apocalypse. Dans les discours des financiers, on passe très vite de l’un à l’autre. Cela ne fait guère avancer l’épargnant. «L’industrie financière s’est construite sur les désirs et les rêves des investisseurs. Plutôt que de trouver une solution adéquate, on vend le rêve d’un succès facile», écrit Klaus Wellershoff, ancien chef économiste d’UBS et propriétaire de sa société de conseil, dans un livre riche en recommandations utiles qui se propose de distinguer «entre un savoir utile et, dans le meilleur des cas, une intéressante spéculation» (Plädoyer für eine bescheidenere Ökonomie; Über Wissen und Nichtwissen in der Finanzindustrie, NZZ Libro, 2018).
En résumé: «Nous connaissons mal l’avenir, mais notre maigre savoir est très puissant. Malheureusement, nous nous donnons énormément de peine pour ne pas croire à l’utilité de ces modestes enseignements.» Klaus Wellershoff écrit un plaidoyer pour une économie qui se tait si elle n’a rien à dire, mais qui hausse le ton sur les faits qu’elle maîtrise.
Le fort impact des taux bas sur les gains futurs
Un exemple d’inutilité? La demande est forte en prévisions conjoncturelles annuelles, mais celles-ci sont souvent fausses. En revanche, l’économiste est très bon et précis sur le trimestre suivant et sur les tendances à 5 ans, ou encore sur la productivité à 15 ans.
Le financier sait que la valeur d’un actif reflète l’espoir des rendements futurs et que le niveau des taux d’intérêt joue un rôle considérable dans la valeur actuelle de ces derniers. A cause des très bas taux d’intérêt actuels, à l’avenir les rendements seront donc inférieurs à ceux auxquels nous nous sommes habitués dans le passé. «Et si les taux d’intérêt augmentaient maintenant parallèlement à la hausse attendue de l’inflation, nous devrions nous attendre à de longues phases de stagnation des actions ou même à des baisses», indique-t-il.
Sur l’évolution des changes, l’économiste connaît deux choses importantes. Le cours est fonction non pas de la croissance économique ou de notre opinion d’un gouvernement, mais de l’écart d’inflation. Si l’épargnant a un argument de fond sur les attentes d’inflation d’un pays, il peut raisonnablement faire une prévision sur les changes.
Attention aux comparaisons trop favorables
L’épargnant doit éviter aussi bien de laisser l’argent sur un carnet d’épargne que d’écouter aveuglément les promesses de l’industrie financière. Depuis 1926, en Suisse, le carnet d’épargne n’a gagné que 50%, malgré les intérêts. Les actions suisses ont elles assuré 140 fois plus de pouvoir d’achat. L’écart annuel de rendement entre les deux n’est que de 5% mais, du fait de l’intérêt composé et du réinvestissement des gains, l’impact est énorme.
Il faut pourtant se méfier de telles comparaisons répétées par les financiers. Elles sont valables pour les actions suisses, mais ni pour l’Allemagne, ni pour la République tchèque, ni pour l’Argentine. Or ces trois pays appartenaient aux 10 plus grandes économies de l’époque. Les économistes qualifient ce problème de «biais du survivant». Il est également visible dans les fonds de placement.
Attention de ne pas surestimer le passé! Depuis 1926, les actions suisses ont connu six épisodes de baisse de plus de 25% après lesquels il a fallu attendre six ans en moyenne pour retrouver le niveau précédent.
Klaus Wellershoff se penche longuement et de manière très pédagogique sur la différence entre l’incertitude (impossible à quantifier) et le risque (mesuré par les modèles financiers). Le problème de l’investisseur est celui de l’incertitude.
Risque et incertitude
Les financiers aiment évoquer le rendement annuel de 9,6% sur les actions suisses depuis 1926 avec un écart moyen de 20,2%. Mais cette exactitude n’aide pas l’investisseur dans ses futures décisions.
La théorie financière évalue ce qu’elle nomme la prime de risque d’un placement, c’est-à-dire l’excès de rendement par rapport à un placement sans risque. Le rendement des actions américaines sur 10 ans (entre 1964 et 2003) montre que les différentes méthodes d’évaluation choisies (rendement du dividende, multiple du bénéfice) aboutissent à une erreur moyenne de 3 points de pour-cent par an. Cela signifie qu’une prévision de rendement annuel de 3% pour l’avenir correspond à un gain compris entre 0 et 6%. C’est l’écart entre le carnet d’épargne et les actions. C’est donc une prévision qui ne sert à rien.
En raison des taux bas, l’investisseur ne peut guère espérer qu’un rendement réduit à 3% par an avec une volatilité par exemple de 9%. Une perte l’attend donc lors de quatre des 10 prochaines années. Et, en raison de la réduction du rendement attendu, le temps nécessaire pour se remettre d’une perte devrait être rallongé.
L’industrie tente de réduire l’individu à un chiffre. Or les préférences de l’épargnant (et sa situation) se modifient. La plus grande erreur commise par la finance, selon Klaus Wellershoff, consiste à supposer que l’individu n’a qu’un seul objectif de placement et une seule tolérance au risque. Il peut très bien avoir trois buts financiers: ne pas devoir changer brutalement son train de vie en cas de problème, financer les études de ses enfants et épargner pour la retraite. Ces trois objectifs expriment diverses attitudes vis-à-vis du risque et différentes allocations.
Klaus Wellershoff propose de tenir compte de l’économie comportementale et demande à l’épargnant d’écrire ses objectifs sur une page à donner au banquier ainsi que le risque qu’il accepte de supporter (par exemple ne pas pouvoir perdre plus de 20%). Cela facilite l’action du banquier et le jugement de la performance de ce dernier.
Face à l’incertitude du rendement, l’auteur propose un portefeuille diversifié «naïf» avec 10 classes d’actifs d’égale pondération, un portefeuille sans prévision et modèle d’optimisation. Dans le passé, cette approche naïve a très bien fonctionné en termes tant de rendement que de réduction de la période de perte.
L’industrie financière est très décevante, observe Klaus Wellershoff à l’aide d’une comparaison de 500 stratégies. Seul un tiers des clients a atteint l’objectif visé. Un quart a été dilapidé en frais et la piètre mise en oeuvre de la stratégie a mis à mal 40% du rendement recherché.
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