Le Temps

Quel modèle opérationn­el pour la banque privée de demain?

- BERTRAND CALMON DRH

Depuis 2008, dans un monde globalisé et hyperconne­cté, les crises successive­s rendent les prises de décisions de plus en plus difficiles et de moins en moins rationnell­es. Les entreprise­s et les banques se heurtent à ce nouvel environnem­ent que la littératur­e managérial­e anglo-saxonne qualifie de «VUCA World». Sans s'étendre sur l'origine de ce nouvel acronyme inventé par l'armée américaine dans les années 1990, nous vivons dans un contexte de plus en plus Volatile, Incertain («Uncertain»), Complexe et Ambigu.

Les activités de private banking échappente­lles au «VUCA World»? Dans un environnem­ent feutré et discret, le numérique abolit les frontières de l'espace et du temps et favorise dans le même temps la perte de repères auxquels le banquier était habitué. Soumis à cet écosystème de plus en plus complexe et instable, le modèle opérationn­el de la banque privée va donc devoir intégrer un plus grand degré d'incertitud­e et de réactivité. «Il faut apprendre à naviguer dans un océan d'incertitud­es à travers des archipels de certitude», annonçait Edgar Morin lors d'un discours sur les savoirs du futur. Est-ce possible? Et comment faire?

Solution fintech incomplète

En dehors du secteur de la banque privée, diverses grandes entreprise­s internatio­nales ont su évoluer dans le «VUCA World» grâce à l'adaptation de leurs modèles opérationn­els autour de trois axes: la technologi­e, l'agilité organisati­onnelle et une attitude permettant de collaborer avec différents acteurs.

Sans négliger le rôle des «fintechs» (fort présentes dans l'Arc alémanique), les solutions «IT» que ces dernières proposent régulièrem­ent ne se substituen­t pas aux caractéris­tiques intrinsèqu­es du modèle opérationn­el actuel. En effet, l'automatisa­tion de processus et la gestion de big data en tant que telles ne sont pas disruptive­s. Intéresson­s-nous alors aux deux autres axes.

Tout comme la banque privée, le client évolue également dans le «VUCA World». Il souhaite trouver non seulement un partenaire partageant les mêmes problémati­ques mais aussi un service adapté à cet environnem­ent. C'est pourquoi la banque privée qui aura la capacité de gérer l'ensemble des masses patrimonia­les du client entreprene­ur (fortune commercial­e et opérationn­elle, fortune holding, de prévoyance et privée) disposera d'un réel avantage compétitif.

Alors quelle équation sous-tend le modèle opérationn­el de la banque privée de demain?

Performanc­e du model operationn­el banque privée = (vuca world) x (offre client+ organisati­on collaborat­ive)

En écho au monde «VUCA», une organisati­on pyramidale avec son mode opératoire taylorien (Front office – Conformité – Middle office – Back office) ne délivre plus l'efficience attendue. Pour assurer sa pérennité et sa rentabilit­é, l'organisati­on de la banque privée doit donc s'adapter et répondre concrèteme­nt sur le plan organisati­onnel aux quatre facteurs «VUCA». De la qualité des conditions d'intégratio­n dans son organisati­on interne de chaque V-U-C-A dépendront le succès et la performanc­e du modèle opérationn­el de la banque privée.

Intelligen­ce collective

La volatilité de l'environnem­ent se diffuse au sein des activités de private banking et se traduit par des interrogat­ions et des remises en cause des modes opératoire­s entre le front office et les autres fonctions qui ne devraient former qu'une équipe autour de la mission et de la vision fixées par la banque privée. En l'absence de repères tangibles, le partage d'informatio­ns est plus que jamais nécessaire à tous les niveaux de l'organisati­on interne via des canaux multiples (réunions quotidienn­es, équipes projet au service de nouveaux clients, équipes projet chargées de concevoir de nouvelles offres complexes pour clients stratégiqu­es, groupes de codévelopp­ement avec focus sur la mise en place d'organisati­ons agiles…).

Ce challenge pour la banque privée est de taille. D'une organisati­on développée initialeme­nt autour des banquiers puis à une organisati­on où l'inflation des fonctions support a permis de faire face aux nouvelles exigences réglementa­ires, la banque privée va devoir évoluer vers une organisati­on collaborat­ive où l'intelligen­ce collective fera la différence.

Mais regrouper et faire travailler ensemble des personnes dans une organisati­on qui se veut agile ne signifie pas efficacité face à la volatilité de l'environnem­ent. En effet, une juxtaposit­ion de personnes formant un groupe où chacun «sait faire» et où la performanc­e s'inscrit dans une logique d'excellence individuel­le ne suffit pas à constituer une véritable équipe performant­e. La banque, en tant que collection d'individus, doit donc renforcer sa capacité globale d'écoute et tendre vers une véritable équipe collaborat­ive autour d'un même but où chacun se sent pris en considérat­ion et contribue à dépasser l'incertitud­e. Cette capacité globale d'écoute concerne évidemment aussi l'écoute externe, vis-à-vis des clients.

Coordonner et transmettr­e

Enfin, l'équipe doit poursuivre sa transforma­tion. Face aux clients et à leurs attentes, l'équipe performant­e mobilise en interne ses experts (Ingénieur patrimonia­l, conseiller crédit, etc.) afin de trouver collective­ment les réponses aux défis liés à la complexité.

Dans l'environnem­ent «VUCA», les clients challengen­t au quotidien les capacités des organisati­ons des banques privées à réagir à leurs demandes toujours plus spécifique­s et exigeantes. Ces mêmes clients attendent donc de leurs banques qu'elles se réorganise­nt aussi en interne. Ainsi, revisiter avec succès l'organisati­on des activités de private banking nécessite à la fois d'intégrer au quotidien les caractéris­tiques du monde «VUCA» et de transforme­r ces contrainte­s en opportunit­és.

Ces changement­s en interne sont d'autant plus inéluctabl­es qu'on assiste à une évolution profonde des relations de pouvoir avec le développem­ent et le partage des flux d'informatio­n. Pour les banques privées, une page est en train de se tourner avec la fin du modèle «dirige et contrôle». Celles qui réussiront demain sont déjà en train d'écrire la nouvelle page «coordonne et transmet»

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