A Nendaz, dents de lait et ski extrême
Le Freeride World Tour a ouvert cette année une catégorie 10-14 ans. Cela peut sembler jeune pour pratiquer un sport risqué, mais toutes les précautions sont prises pour assurer la sécurité des enfants
«On peut leur montrer que ce n’est pas rien de se faire prendre sous une avalanche en les enterrant volontairement sous quelques dizaines de centimètres de neige»
JÉRÔME CAVIN, ENTRAÎNEUR DE FREESTYLE «Le freeride est une jolie métaphore de la vie, on s’engage dans l’inconnu et il faut sans cesse réagir, s’adapter» PASCAL ADAM, PÈRE DE DEUX ENFANTS
Samedi matin, 8 heures. Les haut-parleurs coopérant enfin, le briefing de la Nendaz Freeride Junior peut commencer dans le restaurant de Tracouet, en haut de la télécabine. On remarque les vêtements amples aux couleurs vives, les coupes de surfeurs et l'omniprésence du jargon anglophone. Les rochers à fleur de manteau neigeux deviennent des «sharks», les barres rocheuses des «cliffs» et les figures des «tricks».
Autre élément détonnant: la petite taille de certains concurrents. A une semaine de sa compétition pour adultes estampillée Freeride World Qualifier (la deuxième division du World Tour), la station valaisanne accueille comme les autres étapes de la saison une catégorie inédite, dédiée aux enfants de 10 à 14 ans (U14), en plus de sa traditionnelle catégorie junior (14-18 ans).
Les audaces à proscrire
Les règles édictées pour assurer la sécurité de cette toute nouvelle catégorie sont extrêmement strictes, comme l'explique à l'assistance Cyril Lanfranchi, directeur de la compétition qu'il a fondée il y a douze ans: «Les U14, vous ne partez pas de tout en haut, mais d'ici», dit-il en montrant, sur une photo de la Dent de Nendaz projetée sur grand écran, un point légèrement sur la droite du sommet, duquel la descente semble un peu moins vertigineuse et les obstacles moins nombreux. «Interdiction de sauter des barres rocheuses de plus de 2 mètres, sous peine de disqualification. Interdiction également de lancer des tricks avec la tête en bas.»
A ces interdits s'ajoutent l'obligation d'être entièrement équipé contre les dangers du ski horspiste (casque, protection dorsale, pelle, sonde, détecteur de victime d'avalanche) et l'important travail de minage effectué par les bénévoles le jour avant la compétition. «Avec les U14, ce n'est pas risque 0, c'est risque – 10», martèle Bastien Nobs, le responsable de la sécurité.
Créativité et improvisation
Si la quarantaine de bénévoles se démène depuis des semaines pour maîtriser un maximum de paramètres, elle ne peut rien contre la météo, d'humeur neigeuse ce matin. En attendant que la Dent de Nendaz montre le bout de son nez, chacun prend son mal en patience entre descentes d'échauffement (qui permettent d'entrevoir des conditions délicieuses) et pauses café.
Pascal Adam fait justement un break avec ses deux fils Costa (12 ans) et Esteban (10 ans), le plus jeune des 120 riders inscrits. Ils ont roulé près de cinq heures depuis leur village de Serre Chevalier, dans le département français des Hautes-Alpes, pour participer à la compétition. «On pratique le freeride et le freestyle dans notre club local, explique Esteban. On a commencé en suivant un copain et ça nous a tout de suite plu.» Selon lui, ces disciplines sont beaucoup plus populaires que le ski alpin parmi les enfants de son âge.
«Ce qui est cool, c'est que c'est très varié, et on peut toujours inventer de nouvelles choses», ajoute son aîné. Esteban, plus timide mais plus casse-cou, adore, lui, «la poudreuse, et sauter des barres». Tous deux participent à leur deuxième compétition freeride après celle de Verbier un peu plus tôt dans la saison. «Les juges ont été très impressionnés par le niveau des skieurs de la catégorie U14», relate leur père.
Il ne se dit pas du tout inquiet de voir ses fils pratiquer un sport extrême avant d'avoir perdu toutes leurs dents de lait. «Je trouve que le freeride est une jolie métaphore de la vie, on s'engage dans l'inconnu et il faut sans cesse réagir, s'adapter. Par contre, quand on voit où passent les meilleurs mondiaux, si mes fils continuent encore dix ans et qu'ils font carrière, la boule au ventre viendra sûrement», conclut-il dans un sourire.
Longue ascension, skis sur le dos
La neige cesse de tomber peu avant midi mais dans la zone d'arrivée du «contest», la visibilité ne s'étend qu'à quelques dizaines de mètres. Insuffisant: les rares embellies ne permettent de lancer qu'un ou deux ouvreurs. Le DJ-speaker-ambianceur ne cesse de promettre le soleil, et maintient la bonne humeur des concurrents et de leurs proches (des garçons et leurs papas pour l'essentiel) en les incitant à danser sur des sons pop-rock.
Peu avant 14 heures, une éclaircie plus durable invite les premiers concurrents à se rendre au sommet de la Dent. Quarante-cinq minutes d'ascension skis sur le dos, le meilleur des échauffements. Les premiers skieurs et snowboardeurs de la catégorie 14-18 ans s'élancent, scrutés par six juges, qui leur attribuent des notes de 1 à 10 sur l'impression générale laissée, mais aussi sur des critères précis: la ligne, la fluidité, le contrôle, la technique et la gestion des sauts. Leurs jumelles sont nécessaires: l'oeil nu ne perçoit qu'un petit point noir sur toute la partie haute de la face.
Assis sur une chaise longue, Jérôme Cavin, entraîneur au Freestyle Club Nendaz, donne ses dernières consignes à Diego et à Jocelyn, deux de ses poulains qui doivent vivre leur baptême du feu en compétition: «Sur la petite bosse, là, il y a moyen de tenter un «grab» ou un «trois-six» [un tour complet en l'air, ndlr].»
L’âge et le niveau
Le Valaisan explique ne pas avoir autorisé tous les jeunes skieurs de son club à s'inscrire. «C'est bien d'ouvrir les compétitions de freeride aux gamins de 10 ans, mais je trouve bizarre que le World Tour ne demande pas une garantie prouvant que le skieur a un niveau suffisant.» Pour lui, la pratique du freeride avec les enfants exige un cadre très strict.
«On leur dit: «OK, on est d'accord de faire plein de conneries avec vous, mais il faut respecter les règles à la lettre.» Ceux qui posent problème, ce sont souvent ceux qui font n'importe quoi quand ils skient avec leurs parents», déplore-t-il. Alors il met le paquet au niveau de la prévention. «On peut par exemple leur montrer que ce n'est pas rien de se faire prendre sous une avalanche en les enterrant volontairement sous quelques dizaines de centimètres de neige. Il faut vraiment leur inculquer ce respect de la montagne, sans cesse leur rappeler que c'est elle la plus forte.» Quitte à utiliser la manière forte: «La première chose qu'on montre à un enfant qui entre au club, c'est une vidéo de freeride qui fait rêver, avec les hélicoptères et tout le tralala, mais où les deux skieurs sont pris dans une avalanche et meurent à la fin.»
Les filles assurent le spectacle
Au gré des interruptions dues aux inévitables chutes, les riders comprennent qu'ils ne vont pas tous pouvoir descendre avant la nuit. Certains ne descendront pas du tout, la météo de la journée de réserve prévue dimanche ne le permettant pas. C'est la dure loi des sports en extérieur. De la trentaine d'inscrits dans la catégorie U14, on n'en verra qu'une petite poignée. Il y aura pas mal de chutes, mais pas d'incidents graves, et quelques prouesses. Les quatre filles inscrites bluffent l'assistance. «Vous êtes sûrs qu'il n'y a pas d'erreur, c'est bien une U14?» se demande même le speaker durant le «run» rapide et fluide de Mila. Elle a bien 12 ans, mais de qui tenir: son père, Xavier de Le Rue, a remporté trois fois le Freeride World Tour.
La jeune Française, qui se classera deuxième, arbore un grand sourire quelques minutes après sa toute première compétition de freeride. «J'étais vraiment très stressée au départ, mais au final j'ai tout fait comme prévu.» Pas d'accident, pas de surprise. A part peut-être sur le plan émotionnel, avouera-t-elle un peu plus tard: «A l'arrivée, j'ai pleuré…»
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