Le Temps

«Juges étrangers»: se libérer des mythes

- LISE BAILAT @LiseBailat

«Dangereuse» et «irresponsa­ble». Cela devient mécanique. A chaque fois que le parlement fédéral traite d’une initiative populaire émanant de l’UDC, il emploie les mêmes qualificat­ifs qui finissent par devenir usés. Mardi, le Conseil des Etats a ainsi rejeté l’initiative populaire pour l’autodéterm­ination que le premier parti de Suisse vend sous le slogan marketing «Le droit suisse au lieu de juges étrangers».

Ce texte est-il vraiment si dangereux pour le pays? Il est en réalité si vague que cela le rend extrêmemen­t vicieux. Sur le fond, cette initiative pour l’autodéterm­ination aborde un problème sensible pour la démocratie directe helvétique. Que doit-il se passer lorsque le peuple – ou le législateu­r – prend une décision en contradict­ion avec des traités internatio­naux que la Suisse a conclus? Quand, par exemple, on veut autoriser la chasse au loup alors que l’animal est strictemen­t protégé par la Convention internatio­nale de Berne? Ou encore – davantage dans le coeur de cible des initiants – lorsque les citoyens approuvent le renvoi systématiq­ue et automatiqu­e des «étrangers criminels» même si cela s’oppose à la Convention européenne des droits de l’homme?

Poser la question est légitime. Mais l’initiative de l’UDC y répond de manière extrêmemen­t brouillonn­e. Elle ne précise pas quand une dénonciati­on des accords internatio­naux devrait survenir, ni qui serait responsabl­e d’actionner le couperet. Et en accordant l’immunité aux traités internatio­naux soumis au référendum, donc validés par le peuple, elle préserve paradoxale­ment la plupart des accords bilatéraux avec l’Union européenne, tout comme un futur accord institutio­nnel, alors qu’il s’agit là de sa cible favorite.

Il est difficile à ce jour d’évaluer les chances d’une initiative qui fait largement appel aux mythes fondateurs du pays et reste difficile à vulgariser. C’est la résistance au bailli Gessler par le preux Guillaume Tell qui est ici convoquée par l’UDC. Et dans le débat politique suisse, le slogan des «juges étrangers» a pris racine.

Mais le contexte a aussi fortement évolué depuis le dépôt de l’initiative en août 2016. L’imprévisib­ilité de Donald Trump aux Etats-Unis met en évidence mieux que cent avis de droit l’importance de la sécurité du droit internatio­nal pour un pays comme la Suisse, dont l’économie est tournée vers l’extérieur. En matière de droits humains, le coup d’Etat en Turquie et la vague de répression­s qui a suivi, tout comme les récentes dérives autoritair­es des pays de l’Est, montrent l’importance de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg contre l’arbitraire étatique et pour la protection des minorités.

A son lancement, l’initiative de l’UDC a épouvanté ses contradict­eurs. Prise au sérieux et combattue depuis son dépôt par une large coalition économique, associativ­e et civile, elle semble désormais détachée des réalités du monde.

L’initiative de l’UDC n’est pas dangereuse, mais vicieuse

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