«Juges étrangers»: se libérer des mythes
«Dangereuse» et «irresponsable». Cela devient mécanique. A chaque fois que le parlement fédéral traite d’une initiative populaire émanant de l’UDC, il emploie les mêmes qualificatifs qui finissent par devenir usés. Mardi, le Conseil des Etats a ainsi rejeté l’initiative populaire pour l’autodétermination que le premier parti de Suisse vend sous le slogan marketing «Le droit suisse au lieu de juges étrangers».
Ce texte est-il vraiment si dangereux pour le pays? Il est en réalité si vague que cela le rend extrêmement vicieux. Sur le fond, cette initiative pour l’autodétermination aborde un problème sensible pour la démocratie directe helvétique. Que doit-il se passer lorsque le peuple – ou le législateur – prend une décision en contradiction avec des traités internationaux que la Suisse a conclus? Quand, par exemple, on veut autoriser la chasse au loup alors que l’animal est strictement protégé par la Convention internationale de Berne? Ou encore – davantage dans le coeur de cible des initiants – lorsque les citoyens approuvent le renvoi systématique et automatique des «étrangers criminels» même si cela s’oppose à la Convention européenne des droits de l’homme?
Poser la question est légitime. Mais l’initiative de l’UDC y répond de manière extrêmement brouillonne. Elle ne précise pas quand une dénonciation des accords internationaux devrait survenir, ni qui serait responsable d’actionner le couperet. Et en accordant l’immunité aux traités internationaux soumis au référendum, donc validés par le peuple, elle préserve paradoxalement la plupart des accords bilatéraux avec l’Union européenne, tout comme un futur accord institutionnel, alors qu’il s’agit là de sa cible favorite.
Il est difficile à ce jour d’évaluer les chances d’une initiative qui fait largement appel aux mythes fondateurs du pays et reste difficile à vulgariser. C’est la résistance au bailli Gessler par le preux Guillaume Tell qui est ici convoquée par l’UDC. Et dans le débat politique suisse, le slogan des «juges étrangers» a pris racine.
Mais le contexte a aussi fortement évolué depuis le dépôt de l’initiative en août 2016. L’imprévisibilité de Donald Trump aux Etats-Unis met en évidence mieux que cent avis de droit l’importance de la sécurité du droit international pour un pays comme la Suisse, dont l’économie est tournée vers l’extérieur. En matière de droits humains, le coup d’Etat en Turquie et la vague de répressions qui a suivi, tout comme les récentes dérives autoritaires des pays de l’Est, montrent l’importance de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg contre l’arbitraire étatique et pour la protection des minorités.
A son lancement, l’initiative de l’UDC a épouvanté ses contradicteurs. Prise au sérieux et combattue depuis son dépôt par une large coalition économique, associative et civile, elle semble désormais détachée des réalités du monde.
L’initiative de l’UDC n’est pas dangereuse, mais vicieuse