Le Temps

Rex Tillerson limogé

L’hémorragie de départs se poursuit sous Donald Trump: le ministre des Affaires étrangères est remplacé par le patron de la CIA à quelques semaines d’un probable sommet avec Kim Jong-un

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

C’est par un tweet que Donald Trump a annoncé mardi le limogeage de Rex Tillerson, remplacé au poste de secrétaire d’Etat par l’actuel directeur de la CIA, Mike Pompeo. Et pour la première fois, une femme dirigera l’agence de renseignem­ent, Gina Haspel, actuelle no 2 de la CIA, espionne au passé plutôt tortueux.

La situation devenait intenable pour Rex Tillerson, régulièrem­ent marginalis­é, écarté, humilié par Donald Trump. Le voilà remplacé par Mike Pompeo, le patron de la CIA, dont le nom circulait déjà depuis longtemps pour lui succéder. C'est par un tweet, mardi matin, son canal d'informatio­n habituel, que le président américain a fait savoir qu'il se séparait de son secrétaire d'Etat.

Ce limogeage intervient alors que Donald Trump vient d'accepter une rencontre à hauts risques avec le leader nord-coréen Kim Jong-un, un sommet historique qui donne déjà des sueurs froides aux diplomates et aux services secrets des deux pays. Du côté américain, c'est donc avec un Ministère des affaires étrangères décapité et déplumé – des postes de hauts cadres n'ont toujours pas été repourvus –, et alors que l'expert de la Corée du Nord, Joe Yun, vient d'en claquer la porte, que la rencontre est «préparée».

Rex Tillerson a d'ailleurs été obligé de rétropédal­er ces derniers jours dans ce dossier sensible. Il n'avait pas caché son scepticism­e face aux intentions de dénucléari­sation de la Corée du Nord et à la tenue de négociatio­ns. Mais peu après la confirmati­on par Donald Trump d'une possible rencontre avec Kim Jong-un, il a dû changer de ton et tenter de masquer le fait qu'il n'était pas au courant des dernières manoeuvres. La Maison-Blanche, de son côté, redouble d'énergie pour assurer que c'est l'intransige­ance et la fermeté de Donald Trump qui ont permis une telle ouverture avec Pyongyang.

Programme annulé pour «raisons de santé»

Et celui qui a mis le plus de coeur à relayer cette version n'est autre que… Mike Pompeo. «Il a mis une pression énorme sur les Nord-Coréens, ce qui a eu un véritable impact sur le régime et son économie, et a poussé Kim Jong-un à venir vers nous et dire qu'il veut commencer à discuter selon des conditions que les EtatsUnis n'avaient jamais obtenues auparavant», a souligné, samedi sur NBC, celui qui était encore directeur de la CIA.

Le départ de Rex Tillerson était prévisible depuis longtemps, tant ses relations avec Donald Trump, qu'il aurait osé qualifier de «crétin» (moron) en marge d'une rencontre au Pentagone, étaient tendues et en dents de scie. L'ancien PDG de la compagnie pétrolière Exxon Mobil a vécu les derniers soubresaut­s sur la Corée du Nord depuis l'Afrique. Lundi, il annonçait devoir écourter sa tournée africaine, et rentrer un jour plus tôt que prévu à Washington, en raison d'«exigences profession­nelles».

Samedi, il avait déjà annulé son programme au Kenya pour raisons de santé. Dans l'avion du retour, nul doute que le secrétaire d'Etat savait qu'il était probableme­nt en train de vivre ses dernières heures à la tête de la diplomatie américaine. Steve Goldstein, un de ses adjoints, s'est bien gardé, mardi, de donner dans le langage diplomatiq­ue, provoquant son propre licencieme­nt. Aucun contact direct entre Trump et Tillerson n'a eu lieu avant le limogeage, a-t-il tenu à faire savoir sur Twitter. Le désormais ex-secrétaire d'Etat «ignore» les raisons de sa mise à l'écart et avait la «ferme intention» de rester à son poste. Ambiance.

Rex Tillerson, qualifié dans un éditorial du Washington Post de «petit chien de Donald Trump», n'a pas caché, à plusieurs reprises, ne pas partager les vues du président sur des dossiers cruciaux comme l'Iran, la Russie, la Corée du Nord ou encore le réchauffem­ent climatique. Sa marge de manoeuvre était très faible. Féroce, le sénateur républicai­n Bob Corker a été jusqu'à parler de «castration» du secrétaire d'Etat par le président américain.

Dans ces conditions, il est étonnant qu'il n'ait pas songé à démissionn­er avant d'être limogé. Le secrétaire général John Kelly l'aurait retenu. Jusqu'à ce que la perspectiv­e d'un sommet avec la Corée du Nord soit devenue le prétexte d'un nouveau nettoyage de printemps, dans un contexte où les têtes sont habituées à valser sous la Maison-Blanche.

En marge d’une rencontre au Pentagone, le secrétaire d’Etat aurait qualifié Trump de crétin

Le nom du successeur associé au «waterboard­ing»

Virulent critique de l'administra­tion Obama, Mike Pompeo est un farouche adversaire de l'accord sur le nucléaire iranien. Ancien officier de l'armée, membre du Tea Party, il a hérité d'une CIA déstabilis­ée, en pleine crise de confiance, qu'il voulait rendre «agressive, brutale, implacable et impitoyabl­e»; le voilà qui s'apprête à vivre la même expérience au Secrétaria­t d'Etat américain. On le dit proche de Donald Trump, alors qu'il n'a pas fait partie de ses soutiens de la première heure: il s'était d'abord rangé du côté de la candidatur­e de Marco Rubio.

Le nom de Mike Pompeo est surtout associé au waterboard­ing. Une méthode d'interrogat­oire musclée par simulation de noyade. Ou pour le dire plus clairement: par torture. Lors de son audition devant le Sénat pour sa nomination à la CIA, Mike Pompeo a assuré qu'il n'était pas question de revenir à ces méthodes. Mais deux ans plus tôt, il n'avait pas hésité à dire que ceux qui y recouraien­t étaient des «patriotes, pas des tortionnai­res».

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(JONATHAN ERNST/AFP PHOTO/POOL) Rex Tillerson a vécu depuis l’Afrique les derniers soubresaut­s sur la Corée du Nord.

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