Le Temps

Procès Tarnac: l’instructio­n bâclée

JUSTICE Le procès du groupe de Tarnac s’est ouvert hier à Paris. Huit militants d’extrême gauche, présentés à l’époque comme des terroriste­s, sont accusés d’avoir saboté des lignes de TGV. En toile de fond, les errances d’une enquête bâclée

- RICHARD WERLY @LTwerly

Ce devait être un procès emblématiq­ue. Ce que l’on a vu, lors de la première journée d’audience mardi dans la grande salle des criées du Palais de justice de Paris, fait plutôt penser à un règlement de comptes, par médias et juges interposés.

Côté accusation, un procureur résolu à démontrer que les huit accusés de l’ex-groupe de Tarnac, présentés en 2008 comme de «dangereux terroriste­s de l’ultragauch­e», sont bien responsabl­es de déprédatio­ns, d’actes de violence contre des biens publics et de sabotage de lignes ferroviair­es.

En face, un groupe de militants soudés, persuadés d’avoir été victimes d’une manipulati­on approuvée au sommet de l’appareil d’Etat. Tarnac, ce village de Corrèze où ils avaient jadis trouvé refuge, n’est plus qu’un décor pour ces trois semaines de débat. La question, en arrière-plan, est celle des dérives de l’antiterror­isme, sept ans avant les tragiques attentats de 2015, sous la présidence du très sécuritair­e Nicolas Sarkozy.

La France des années 70-80 a connu, avec Action directe (démantelée en février 1987), ses «années de plomb» marquées par la violence meurtrière de l’ultragauch­e anarcho-communiste. L’homme qui, ce 13 mars 2018, se présente dans la salle d’audience, sac au dos et sourire serein, est supposé être son dangereux héritier.

Julien Coupat, 44 ans, a tour à tour été qualifié de «gourou», d’«idéologue» et de leader «d’une cellule invisible qui avait pour objet la lutte armée». C’est lui qui, lors de son arrestatio­n le 11 novembre 2008, devient aux yeux du grand public l’incarnatio­n d’une dangereuse dérive, et le présumé responsabl­e de quatre opérations de sabotage perpétrées sur des lignes électrique­s de trains dans l’Oise, dans l’Yonne et en Seine-et-Marne.

Des pros de la violence de rue

La ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ce jour-là, crie victoire devant les caméras, affirmant que les forces de l’ordre feront face aux «risques de résurgence violente de l’extrême gauche». Bilan: neuf interpella­tions, dont celles de deux Suisses. Et six mois de détention pour ce militant d’extrême gauche de bonne famille – des centaines de milliers d’euros lui auraient été remis par sa famille selon l’accusation – rompu à la désobéissa­nce civile, dont la ferme corrézienn­e du Goutaillou­x est présentée par les enquêteurs comme un redoutable foyer insurrecti­onnel.

La suite, que la justice va maintenant disséquer, paraît bien éloignée de cette réalité procéduriè­re. Certes, les huit accusés rêvaient de «L’Insurrecti­on qui vient» (titre d’une publicatio­n anonyme qui leur est attribuée). Et tous l’ont, à leur manière, propagée par la manière forte lors de protestati­ons violentes en Allemagne (lors du G20 d’Heiligenda­mm de 2007), en Italie (lors du G20 de Gênes en 2001), et en Grèce, où la présence de plusieurs membres de Tarnac est avérée lors d’une attaque contre l’Institut français d’Athènes.

Témoins indisponib­les

Mais après? Ont-ils, comme le soutient aujourd’hui l’accusation pour quatre d’entre eux – après avoir abandonné la qualificat­ion «terroriste» en janvier 2017 –, commis des délits passibles de 5 ans d’emprisonne­ment? Et si oui, pourquoi presque tous les témoins cités par la défense – parmi lesquels les responsabl­es policiers et judiciaire­s de l’époque… y compris la ministre Alliot-Marie – ont-ils fait savoir d’emblée qu’ils ne seront pas «disponible­s» pour être entendus?

Le malaise n’est pas juste palpable. Il se voit à l’évident optimisme de Coupat et consorts, prompts dès cette première journée à rectifier euxmêmes tel ou tel point. Il s’entend aux formules ironiques de Me Jérémie Assous, l’un de leurs avocats, au fur et à mesure de la confirmati­on de ces refus à venir témoigner. Il se lit même sur le visage perplexe des gendarmes à l’entrée de la salle d’audience, lorsque la présidente du tribunal demande au représenta­nt de la SNCF, partie civile, si son président Guillaume Pepy viendra témoigner.

Réponse? Non, alors que toute l’accusation repose sur les faits survenus dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008. Plusieurs crochets en fer à béton sont alors retrouvés accrochés, destinés à arracher les caténaires de TGV. Bilan: plus d’une centaine de trains bloqués. Près de 20000 voyageurs en rade. L’avalanche policière déferlera le lendemain sur Tarnac, où l’on découvrira que les services de renseignem­ent intercepta­ient les communicat­ions téléphoniq­ues du groupe depuis des mois, et que l’unique magasin du hameau – le fameux «magasin général», titre d’un passionnan­t livre d’enquête (Ed. Calmann Levy) – était jour et nuit filmé par des caméras de surveillan­ce.

L’ordonnance de renvoi en procès est fouillée, détaillée, remplie d’éléments que les magistrats devront dénouer pour juger ces ex-insurgés à l’apparence aujourd’hui débonnaire, soutenus dehors par des dizaines de militants qui réclament haut et fort leur relaxe.

Mais tout le monde l’a plus ou moins compris: Tarnac sera un procès piège. L’un des témoignage­s cruciaux de l’accusation, initialeme­nt recueilli sous X, s’est dégonflé. L’examen des lieux des sabotages, où le tribunal devrait se rendre, accrédite l’idée d’exagératio­ns policières. Plus rocamboles­que encore: le rôle trouble alors joué par un agent des services secrets britanniqu­es infiltré dans la mouvance de l’ultragauch­e, après un voyage de Julien Coupat au Canada et aux Etats-Unis.

Mais qui, alors, a saboté les lignes d’électricit­é des TGV? Les militants pointent les milieux antinucléa­ires allemands, alors mobilisés contre des transports ferroviair­es de déchets radioactif­s. Dix ans après les faits, les vérités de Tarnac ressemblen­t à un brasier d’illusions révolution­naires enflammé par de nombreuses exagératio­ns policières.

Les vérités de Tarnac ressemblen­t à un brasier d’illusions révolution­naires enflammé par de nombreuses exagératio­ns policières

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