Procès Tarnac: l’instruction bâclée
JUSTICE Le procès du groupe de Tarnac s’est ouvert hier à Paris. Huit militants d’extrême gauche, présentés à l’époque comme des terroristes, sont accusés d’avoir saboté des lignes de TGV. En toile de fond, les errances d’une enquête bâclée
Ce devait être un procès emblématique. Ce que l’on a vu, lors de la première journée d’audience mardi dans la grande salle des criées du Palais de justice de Paris, fait plutôt penser à un règlement de comptes, par médias et juges interposés.
Côté accusation, un procureur résolu à démontrer que les huit accusés de l’ex-groupe de Tarnac, présentés en 2008 comme de «dangereux terroristes de l’ultragauche», sont bien responsables de déprédations, d’actes de violence contre des biens publics et de sabotage de lignes ferroviaires.
En face, un groupe de militants soudés, persuadés d’avoir été victimes d’une manipulation approuvée au sommet de l’appareil d’Etat. Tarnac, ce village de Corrèze où ils avaient jadis trouvé refuge, n’est plus qu’un décor pour ces trois semaines de débat. La question, en arrière-plan, est celle des dérives de l’antiterrorisme, sept ans avant les tragiques attentats de 2015, sous la présidence du très sécuritaire Nicolas Sarkozy.
La France des années 70-80 a connu, avec Action directe (démantelée en février 1987), ses «années de plomb» marquées par la violence meurtrière de l’ultragauche anarcho-communiste. L’homme qui, ce 13 mars 2018, se présente dans la salle d’audience, sac au dos et sourire serein, est supposé être son dangereux héritier.
Julien Coupat, 44 ans, a tour à tour été qualifié de «gourou», d’«idéologue» et de leader «d’une cellule invisible qui avait pour objet la lutte armée». C’est lui qui, lors de son arrestation le 11 novembre 2008, devient aux yeux du grand public l’incarnation d’une dangereuse dérive, et le présumé responsable de quatre opérations de sabotage perpétrées sur des lignes électriques de trains dans l’Oise, dans l’Yonne et en Seine-et-Marne.
Des pros de la violence de rue
La ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ce jour-là, crie victoire devant les caméras, affirmant que les forces de l’ordre feront face aux «risques de résurgence violente de l’extrême gauche». Bilan: neuf interpellations, dont celles de deux Suisses. Et six mois de détention pour ce militant d’extrême gauche de bonne famille – des centaines de milliers d’euros lui auraient été remis par sa famille selon l’accusation – rompu à la désobéissance civile, dont la ferme corrézienne du Goutailloux est présentée par les enquêteurs comme un redoutable foyer insurrectionnel.
La suite, que la justice va maintenant disséquer, paraît bien éloignée de cette réalité procédurière. Certes, les huit accusés rêvaient de «L’Insurrection qui vient» (titre d’une publication anonyme qui leur est attribuée). Et tous l’ont, à leur manière, propagée par la manière forte lors de protestations violentes en Allemagne (lors du G20 d’Heiligendamm de 2007), en Italie (lors du G20 de Gênes en 2001), et en Grèce, où la présence de plusieurs membres de Tarnac est avérée lors d’une attaque contre l’Institut français d’Athènes.
Témoins indisponibles
Mais après? Ont-ils, comme le soutient aujourd’hui l’accusation pour quatre d’entre eux – après avoir abandonné la qualification «terroriste» en janvier 2017 –, commis des délits passibles de 5 ans d’emprisonnement? Et si oui, pourquoi presque tous les témoins cités par la défense – parmi lesquels les responsables policiers et judiciaires de l’époque… y compris la ministre Alliot-Marie – ont-ils fait savoir d’emblée qu’ils ne seront pas «disponibles» pour être entendus?
Le malaise n’est pas juste palpable. Il se voit à l’évident optimisme de Coupat et consorts, prompts dès cette première journée à rectifier euxmêmes tel ou tel point. Il s’entend aux formules ironiques de Me Jérémie Assous, l’un de leurs avocats, au fur et à mesure de la confirmation de ces refus à venir témoigner. Il se lit même sur le visage perplexe des gendarmes à l’entrée de la salle d’audience, lorsque la présidente du tribunal demande au représentant de la SNCF, partie civile, si son président Guillaume Pepy viendra témoigner.
Réponse? Non, alors que toute l’accusation repose sur les faits survenus dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008. Plusieurs crochets en fer à béton sont alors retrouvés accrochés, destinés à arracher les caténaires de TGV. Bilan: plus d’une centaine de trains bloqués. Près de 20000 voyageurs en rade. L’avalanche policière déferlera le lendemain sur Tarnac, où l’on découvrira que les services de renseignement interceptaient les communications téléphoniques du groupe depuis des mois, et que l’unique magasin du hameau – le fameux «magasin général», titre d’un passionnant livre d’enquête (Ed. Calmann Levy) – était jour et nuit filmé par des caméras de surveillance.
L’ordonnance de renvoi en procès est fouillée, détaillée, remplie d’éléments que les magistrats devront dénouer pour juger ces ex-insurgés à l’apparence aujourd’hui débonnaire, soutenus dehors par des dizaines de militants qui réclament haut et fort leur relaxe.
Mais tout le monde l’a plus ou moins compris: Tarnac sera un procès piège. L’un des témoignages cruciaux de l’accusation, initialement recueilli sous X, s’est dégonflé. L’examen des lieux des sabotages, où le tribunal devrait se rendre, accrédite l’idée d’exagérations policières. Plus rocambolesque encore: le rôle trouble alors joué par un agent des services secrets britanniques infiltré dans la mouvance de l’ultragauche, après un voyage de Julien Coupat au Canada et aux Etats-Unis.
Mais qui, alors, a saboté les lignes d’électricité des TGV? Les militants pointent les milieux antinucléaires allemands, alors mobilisés contre des transports ferroviaires de déchets radioactifs. Dix ans après les faits, les vérités de Tarnac ressemblent à un brasier d’illusions révolutionnaires enflammé par de nombreuses exagérations policières.
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Les vérités de Tarnac ressemblent à un brasier d’illusions révolutionnaires enflammé par de nombreuses exagérations policières