Promotion express dénoncée à Bruxelles
La nomination du bras droit de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr, au secrétariat général de la Commission a suscité un tonnerre de critiques. Plus que le profil, jugé autoritaire, de l’intéressé, c’est la méthode qui a dérangé
C'est une polémique dont la Commission européenne, déjà bien occupée avec le Brexit et les menaces protectionnistes de Donald Trump, se serait bien passé. Depuis trois semaines, l'institution est plongée dans le «Selmayrgate», du nom de l'ancien chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr, nommé le 21 février secrétaire général de la Commission. Une nomination express, pour ne pas dire expéditive – elle a été approuvée en quelques minutes par les 27 commissaires –, révélée par le quotidien Libération. Et une promotion encore plus fulgurante pour cet Allemand de 47 ans, qui n'avait pas, 24 heures plus tôt, le grade administratif requis et qui dirige désormais tous les travaux d'une institution de 33 000 fonctionnaires.
Le cas de ce fonctionnaire, puissant bras droit de Jean-Claude Juncker et tête pensante de la Commission, a fait des remous jusqu'au Parlement européen qui lui a consacré lundi à Strasbourg un débat très virulent. Pour une fois, les eurodéputés étaient unanimes, dénonçant la «centralisation autoritaire» menée par Martin Selmayr et la «caporalisation» des fonctionnaires», selon la formule de l'écologiste belge Philippe Lamberts. Voire un «coup d'Etat», a même considéré l'Allemand Werner Langer, issu de la CDU. Un «coup d'Etat»: c'est aussi le terme employé par l'extrême droite qui y voit la victoire de la «technocratie fédéraliste».
Poste occupé quelques minutes
Pour autant, si Martin Selmayr déclenche les passions par sa personnalité et s'il est sincèrement haï par certains, c'est plutôt la méthode qui semble poser problème aux eurodéputés. Un «putsch» solitaire de l'intéressé? L'homme aime sans doute le pouvoir mais c'est son patron Jean-Claude Juncker qui l'a nommé, convaincu de ses compétences et sans doute désireux de laisser «à travers lui son héritage», juge une source.
Charles de Marcilly, expert en politique européenne, rappelle que le poste de secrétaire général a toujours été confié à un technocrate du sérail: le SG coordonne tous les travaux entrepris dans les directions générales et donne la cohérence finale aux propositions. Sous l'ère Barroso, c'est l'Irlandaise Catherine Day qui officiait et jouissait d'une réputation peu flatteuse: celle d'une femme toute-puissante, agissant dans l'ombre au service d'une cause jugée ultralibérale. «C'est là l'erreur de Selmayr», explique Charles de Marcilly. L'Allemand s'est mis beaucoup dans la lumière en s'affichant en permanence aux côtés de Jean-Claude Juncker.
Mais c'est la Commission qui a fauté en tentant d'arranger la nomination en l'espace de quelques heures via un jeu de chaises musicales et de promotions express: Martin Selmayr avait en effet été nommé secrétaire général adjoint le 21 février, un poste qu'il a occupé quelques minutes seulement, le temps de pouvoir être ensuite nommé secrétaire général. Or, les commissaires n'ont à ce moment pas bronché.
Des «petits arrangements entre amis» et une opacité totale, a fustigé le PE. «Du pain bénit pour les eurosceptiques et europhobes de tout poil» à un an des élections, juge une source du Parlement. L'affaire est d'autant plus dommageable que l'exécutif européen aurait pu se l'épargner en insistant justement «sur le caractère politique de cette nomination», reprend Charles de Marcilly, plutôt que de la faire passer en précipitant les nominations. Jean-Claude Juncker n'est pas non plus venu parler aux députés, ce qu'ils ont mal vécu.
Une «balle dans le pied»
«C'est la Commission qui se tire elle-même dans le pied», reprend le membre du PE. Car le choix de Selmayr pour ce poste lui semblait très acceptable. «Il est moins terne que son prédécesseur néerlandais, Alexander Italianer.» Si la Commission a «tourné rond ces trois dernières années, c'est bien grâce à Selmayr», juge même cet observateur. «Un gâchis.»
La Commission du budget au Parlement européen va maintenant se pencher sur la régularité de l'affaire et une résolution sera votée en avril. Le «Selmayrgate» peut-il faire chuter la Commission comme cela avait déjà été le cas en 1999 avec la Commission de Jacques Santer, tombée sous le coup d'une affaire de corruption? Pour certains, c'est non. Mais pour d'autres, la Commission rentre vraiment dans «une zone de danger»