Le Temps

Les pulsions pédophiles, à l’origine des meurtres

- CÉLINE ZÜND, SCHAFISHEI­M @celinezund

Au premier jour du procès, deux expertises psychiatri­ques dévoilent le profil du meurtrier. L’accusé s’est exprimé face à ses juges

La vie de Thomas N. reposait sur un tissu de mensonges. «Je ne voulais pas briser l’image que ma mère avait de moi», a dit le meurtrier de Rupperswil devant les juges, au premier jour de son procès mardi. Il se présentait comme un brillant doctorant à l’Université de Berne, entraîneur de football fiable et discret. Pendant ce temps, il nourrissai­t des pulsions pédophiles et joue avec l’idée de tuer ses voisins.

Le fossé entre le fantasme et la réalité n’a cessé de se creuser, jusqu’à devenir insoutenab­le. Le 21 décembre 2015, après avoir imaginé maintes fois son scénario macabre, il passe à l’acte. Il entre chez la famille S. à l’aide d’une ruse, prend le plus jeune fils en otage, force la mère à vider son compte bancaire, abuse sexuelleme­nt de l’enfant, avant d’égorger un à un tous les membres de la famille. Puis il met le feu aux corps et quitte les lieux.

Pas d’internemen­t à vie

Le premier jour du procès s’est ouvert devant une salle comble. Dans le public, des connaissan­ces de la famille, des habitants de Rupperswil, des étudiants, ou de simples curieux. L’enjeu de ce premier jour d’audience a été de comprendre ce qui a bien pu conduire un individu sans passé criminel et plutôt épargné par la vie à commettre l’un des meurtres les plus sordides que la Suisse ait connus. Deux experts psychiatre­s, Elmar Habermeyer et Josef Sachs, ont livré le résultat de leur enquête sur le profil du meurtrier.

Leurs conclusion­s vont dans la même direction: Thomas N. est entièremen­t responsabl­e de ses actes. Ils n’ont pas décelé chez lui de maladie psychiatri­que. Le jour du meurtre, «il maîtrisait la situation, les choses se sont déroulées selon ses plans», explique Elmar Habermeyer. L’accusé a planifié son meurtre pas à pas, perdant au fil du temps tout scrupule, souligne de son côté Josef Sachs, ancien chef de la clinique argovienne de Königsfeld­en. Les psychiatre­s estiment le risque de récidive élevé à très élevé, et recommande­nt tous deux une longue thérapie. Ils ne sont pas en mesure toutefois de déclarer l’individu «incurable». Les conditions légales pour l’internemen­t à vie ne sont donc pas remplies: pour qu’une telle mesure puisse être prononcée, deux rapports d’experts doivent conclure que le prévenu est réfractair­e à la thérapie.

Les expertises mettent en avant un trouble de la personnali­té chez Thomas N., décrit comme un manipulate­ur animé par un puissant désir de contrôle. Le «profil type» du narcissiqu­e. Au cours des vingt premières années de sa vie, «il n’avait pas de problème avec sa famille, ni à l’école, il menait une vie heureuse», souligne Elmar Habermeyer, directeur du secteur forensique de la clinique psychiatri­que universita­ire de Zurich. Ses problèmes commencent lorsqu’il prend conscience de sa pédophilie, qu’il prend soin de dissimuler à son entourage, tout comme ses échecs en série. Le jeune homme a interrompu cinq cursus universita­ires. Il continue pourtant à nourrir des ambitions élevées, toujours plus en décalage avec la réalité. La mort de son père en 2011 le marque profondéme­nt: présent, il n’a pas pu le réanimer. Avec les autres, il se montre distant, évite de nouer des relations.

Obéissant face aux juges

Au cours du procès, Thomas N. reste la plupart du temps prostré, le regard rivé sur son pupitre, prenant appui sur ses mains jointes. Lorsqu’il s’adresse enfin à la cour, l’accusé s’exprime d’une voix posée. Il lève le regard vers les juges et répond à toutes les questions, sans exception. «Je sais que c’est la seule chose que je puisse faire: répondre aux questions, peu importe à quel point c’est douloureux», dira-t-il.

Pourquoi, demande le juge, fallait-il que ces meurtres soient commis? «C’est une question difficile», répond Thomas N. en baissant les yeux. Il marque une longue pause, avant d’expliquer avoir agi par peur et pour «dissimuler» son geste. Il raconte avoir d’abord élaboré un plan de prise d’otages, motivé par son besoin d’argent, dans lequel il imaginait déjà tuer ses victimes et mettre le feu à la maison. Puis, ses fantasmes sexuels se sont mêlés à ce qu’il appelle «cette constructi­on». Ce sont ses pulsions qui se sont révélées «décisives» dans son passage à l’acte. Tuer quatre personnes pour 11000 francs, quel mot cela lui inspire-t-il? s’enquiert une autre juge. «Malade», «inhumain», «une personne normale ne fait pas cela», répond l’accusé.

Pourquoi, alors qu’il était conscient de ses pulsions pédophiles depuis des années, n’avoir jamais cherché à se faire aider? «La peur, la honte et la conviction de contrôler la situation». Thomas N. a préféré massacrer une famille, plutôt que de confesser sa double vie. «Quatre personnes ont dû mourir parce que vous aviez raté votre vie», lance l’un des avocats de la partie civile. «C’était une raison», dit Thomas N.

«Je sais que c’est la seule chose que je puisse faire, répondre aux questions, peu importe à quel point c’est douloureux» THOMAS N.

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(SIBYLLE HEUSSER/KEYSTONE)

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