Le Temps

Comment les policiers infiltrent la campagne électorale

Les syndicats des forces de l’ordre multiplien­t les manoeuvres de lobbying à l’approche des élections cantonales. Du côté des partis, le MCG est le seul à présenter plusieurs candidats issus des rangs de la grande maison

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Souvent agités, toujours inquiets et spécialeme­nt démonstrat­ifs, les syndicats de la police genevoise ont également pour tradition de s’inviter dans les campagnes politiques. Les élections cantonales du printemps 2018 ne feront pas exception. La divulgatio­n récente d’un sondage interne, suggérant tout le mal que les troupes pensent de la nouvelle organisati­on des services, de leur hiérarchie et de l’action du départemen­t présidé par Pierre Maudet, s’inscrit dans un ensemble de manoeuvres stratégiqu­es.

Tournée des partis, rendez-vous avec certains candidats au Conseil d’Etat pour dire leur amertume et faire avancer leur cause, les représenta­nts des forces de l’ordre intensifie­nt désormais le lobbying. Ce d’autant plus qu’un vote populaire est attendu en juin sur une réforme – elle aussi très mal vécue – du financemen­t de leur caisse de pension.

Une tradition bien ancrée

La période électorale est un moment généraleme­nt propice au mécontente­ment policier. Celle de 2005 est restée dans les mémoires. A l’époque, l’UPCP, le remuant syndicat de la gendarmeri­e, s’était invité dans le débat sans prendre de gants. Dans son bulletin, il distribuai­t bons et mauvais points aux candidats en fonction des positions adoptées lors du premier lifting de la loi sur la police (déjà) et de son chapitre traitant des promotions. Le ton était virulent et les attaques très personnali­sées.

Le scandale créé par cette chasse aux sorcières n’avait pas empêché des gendarmes de faire leur entrée au Grand Conseil sous la bannière du Mouvement Citoyens genevois (MCG) et de s’y multiplier. Treize ans plus tard, ce parti est encore le seul à présenter nombre de candidats qui sont des policiers actifs ou retraités. Il y a les sortants Sandro Pistis (chef de groupe au parlement), Thierry Cerutti, Jean-Marie Voumard, Francisco Valentin, Roger Golay, André Python et Christian Flury. Il y a aussi un nouveau en la personne de Frédéric Chapou et un revenant des luttes syndicales corsées et transfuge de l’Alliance de gauche, le très profilé Pierre-Alain Laurent.

L’activisme politico-corporatis­te (la récente affiche du MCG qui préconise de soutenir la police pour lutter contre le deal de rue en est l’illustrati­on), en commission ou dans l’hémicycle, n’a pas empêché l’adoption de textes considérés comme défavorabl­es à la profession. Les bonnes vieilles méthodes consistant à aller au contact reprennent donc de la vigueur. Frédéric Mulmann, président du Syndicat de la police judiciaire (SPJ), précise avoir fait le tour des partis en 2017 au moment où les membres se voyaient perdre une classe de traitement et que leur moral était au plus bas. Aujourd’hui, il dit rester plutôt en retrait: «Notre rôle n’est pas d’influer sur la campagne mais la porte sera ouverte pour tous ceux qui voudront nous rencontrer.»

Marc Baudat, le président de l’UPCP, s’avoue plus offensif. «Nous avons demandé à rencontrer des candidats au Conseil d’Etat afin de présenter notre vision de l’avenir. Il est important de faire sentir une présence et d’avoir un échange afin de savoir comment ceux-ci nous perçoivent.» S’agissant des partis et des députés, l’esprit de revanche n’est jamais très loin. «Nos membres vont se rappeler les prises de position des uns et des autres lors des discussion­s sur la loi sur la police (LPol) ou sur la fonction publique.» Fort de 2000 adhérents, en comptant les anciens de la maison, l’UPCP représente un poids non négligeabl­e. Son président assure qu’il n’y aura pas de mot d’ordre, ni de candidat préféré, mais savoure le moment. «Ce que nous pensons compte beaucoup.»

Courtisés ou blacklisté­s

La libérale-radicale Nathalie Fontanet, en lice pour l’exécutif, figure sur cet agenda d’approche. «J’ai été interpellé­e et j’ai répondu positiveme­nt à cette demande de rencontre. Consulter et entendre, c’est ma façon de faire de la politique», explique la candidate. Celle qui avait pris la tête du comité en faveur de la réorganisa­tion tant honnie par les syndicats – votée de justesse par le peuple le 8 mars 2015 – dit aujourd’hui avoir «beaucoup de compréhens­ion pour les inquiétude­s des policiers, qui pratiquent un métier difficile, dangereux et avec un horaire compliqué».

Au classement syndical, il y a les adulés, les courtisés, les ignorés mais aussi les mal-aimés. Dans cette dernière catégorie, le député Vincent Maitre (PDC) occupe une place de choix en raison de ses interventi­ons contre certains privilèges, comme le paiement de l’assurance maladie des policiers par l’Etat. Le principal intéressé ne s’en étonne guère. «Il est de notoriété publique qu’il existe une sorte de liste noire.» Il reste perplexe quant aux actions déployées par les syndicats: «Les policiers répondent à une organisati­on militaire, ont une tâche d’autorité et un devoir de réserve accru. Ils n’ont pas à se transforme­r en lobbyistes dans la campagne.»

Une commission noyautée

Si la sécurité n’est plus en tête des préoccupat­ions des citoyens, le policier reste un objet politique sensible qui inspire moult interpella­tions et projets de loi. Son humeur est aussi un sujet sans fin qui vient de semer le trouble dans la campagne. Ironie de l’histoire, c’est la nouvelle commission du personnel – celle dont les syndicats ne voulaient absolument pas car ils craignaien­t d’être court-circuités – qui a réalisé le fameux sondage sur les effets de la réforme structurel­le et communiqué les résultats très critiques à l’interne. Dans la foulée, le document a pris le chemin de la Tribune de Genève, nourri la polémique et pourri une ambiance déjà tendue entre la base et les états-majors.

Cette même commission, que les syndicats ont d’emblée réussi à noyauter en y faisant élire six de leurs représenta­nts les plus actifs (sur six sièges dévolus aux policiers), est désormais dans la tourmente, accusée par la hiérarchie et par le départemen­t d’avoir rompu la confiance en précipitan­t la divulgatio­n des résultats sans concertati­on aucune, ni évaluation sérieuse des données. Côté policier, on affirme qu’il était hors de question de pondérer les choses et on ne cache pas une velléité stratégiqu­e. «Pour l’institutio­n, c’était le meilleur moment de montrer l’état des troupes», explique l’un d’eux.

De cette querelle, Frédéric Mulmann ne pense rien de bon. Il estime que les problèmes doivent être soulevés et déplore que la seule réponse aux résultats de ce sondage porte sur la forme plutôt que sur le fond. «Le moral, c’est comme le carburant qui fait fonctionne­r la machine. On ne peut pas s’en passer», relève encore le président du SPJ tout en appelant les politiques à envisager un audit ou une enquête sur le fonctionne­ment de l’institutio­n. Pas sûr que cette perspectiv­e suscite l’emballemen­t à l’aube d’une nouvelle législatur­e.

«Les policiers n’ont pas à se transforme­r en lobbyistes dans la campagne» VINCENT MAITRE, DÉPUTÉ (PDC)

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(EDDY MOTTAZ) Le Mouvement Citoyens genevois est le seul parti à présenter des candidats qui sont des policiers actifs ou retraités.

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