Le Temps

L’OIT ne veut plus de l’argent du tabac

Les cigarettie­rs ont financé des programmes de lutte contre le travail des enfants pour 15 millions de francs sur huit ans. Lors d'un vote qui aura lieu ce mercredi à Genève, l'Organisati­on internatio­nale du travail va demander de trouver d'autres sources

- RAM ETWAREEA @ram52

L’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT) veut mettre fin à sa collaborat­ion avec l’industrie du tabac et ne souhaite plus recevoir sa contributi­on financière. Entre 2011 et 2018, les cigarettie­rs ont financé des projets de lutte contre le travail des enfants dans les plantation­s du tabac pour environ 15 millions de francs. Plus concrèteme­nt, le Conseil des gouverneur­s de cette organisati­on tripartite (Etats, patronat et syndicats) est appelé à se prononcer, ce mercredi, sur une motion qui demande de trouver des sources alternativ­es de financemen­t.

La cause n’est toutefois pas entendue. Lors de la dernière réunion du Conseil en octobre dernier, il n’y a pas eu de consensus. Selon une source proche du dossier, certains Etats où la culture du tabac constitue une activité importante, et des représenta­nts du patronat ont fait capoter une première tentative. «Nous suivons ce vote, explique Ryan Sparrow, porte-parole du groupe Philip Morris. Pour notre part, nous voulons poursuivre le partenaria­t public-privé pour faire face aux défis sociaux comme le travail des enfants.» La multinatio­nale américaine dont le siège principal se trouve à Lausanne, explique qu’elle collabore avec Eliminatin­g Child Labour in Tobacco Growing Foundation qui, elle, est un partenaire de l’OIT.

Une industrie qui brasse des milliards

Sise à Genève, Japan Tobacco Internatio­nal (JTI) travaille encore plus étroitemen­t avec l’organisati­on onusienne. Ne voulant pas interférer sur le vote de mercredi, elle a refusé tout commentair­e. En revanche, dans une note écrite au Temps, elle a fait savoir qu’elle a mis sur pied un programme de lutte contre le travail des enfants au Malawi, en Tanzanie, en Zambie ainsi qu’au Brésil, en collaborat­ion avec l’OIT. JTI affirme avoir sorti 30 000 enfants des champs.

«Pour une industrie qui brasse des milliards, c’est peu d’argent consacré à une cause majeure, estime Taylor Billings du Corporate Accountabi­lity, un groupe de pression basé aux Etats-Unis, qui veille sur les activités de grandes entreprise­s. Mais c’est beaucoup de bénéfices en termes de relations publiques et de réputation qu’elle en retire.» En effet, Philip Morris admet avoir utilisé le matériel onusien dans sa propre campagne d’informatio­ns.

Dans sa documentat­ion préparée après enquête dans le cadre du vote de mercredi, l’OIT fait un procès en règle contre l’industrie du tabac qui pèse 683 milliards de dollars et dont les ventes augmentent de 1% par année, principale­ment dans les pays en développem­ent. En substance, elle dénonce les conditions difficiles pour les travailleu­rs, l’endettemen­t de petits paysans, les relations inégales entre producteur­s acheteurs de feuilles ainsi que le manque total d’organisati­ons syndicales. Au Malawi, 40% des paysans sans terre affirment qu’il leur reste moins de 50 dollars après une année de travail. «Ces conditions sont propices à l’exploitati­on des familles entières, les femmes et les enfants étant les premières victimes», écrit l’OIT.

Pas un cas isolé

L’initiative de l’OIT n’est pas un cas isolé. Après l’Organisati­on

Dans sa documentat­ion, l’OIT fait un procès en règle contre l’industrie du tabac

mondiale de la santé, d’autres organisati­ons onusiennes rompent graduellem­ent avec l’industrie du tabac. Le Pacte mondial de l’ONU, une alliance regroupant les multinatio­nales qui acceptent un code de conduite, exclut aussi les entreprise­s de tabac.

Ils sont nombreux les groupes de pression qui s’opposent à l’industrie du tabac tant pour une question de santé publique que pour les droits des travailleu­rs. La dernière initiative date de la semaine passée; elle revient à Michael Bloomberg, l’ancien maire de New York qui vient de lancer une agence Stopping Tobacco Organisati­ons and Products. Il y a investi personnell­ement 1 milliard de dollars.

Cette nouvelle organisati­on est aussi une réponse à la multiplica­tion des initiative­s financées par l’industrie du tabac, la toute dernière étant la «Freedom organisati­on for the right to enjoy smoking tobacco». Qui vient d’ouvrir un bureau de lobby auprès des institutio­ns européenne­s à Bruxelles.

 ?? (MARTIN GOOD/SHUTTERSTO­CK) ?? Sise à Genève, l’Organisati­on internatio­nale du travail, comme d’autres organisati­ons onusiennes, veut couper graduellem­ent les ponts avec l’industrie du tabac.
(MARTIN GOOD/SHUTTERSTO­CK) Sise à Genève, l’Organisati­on internatio­nale du travail, comme d’autres organisati­ons onusiennes, veut couper graduellem­ent les ponts avec l’industrie du tabac.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland