Le Temps

Arrestatio­n de deux traders à Genève

La compagnie pétrolière d’Etat venezuélie­nne PDVSA accuse un groupe de traders suisses d’avoir corrompu ses employés de manière systématiq­ue, privant le pays de milliards de dollars de revenus. Les négociants se fendent d’un «no comment»

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry COLLABORAT­ION: SYLVAIN BESSON

Le Venezuela s'attaque à la place helvétique de trading de matières premières. La compagnie pétrolière d'Etat PDVSA (Petróleos de Venezuela SA) a émis, via un trust américain, une plainte pénale visant le cabinet Helsinge, d'origine panaméenne mais également établi à Genève, et un groupe de négociants, basés notamment en Suisse, pour corruption et vol de données confidenti­elles. Ces agissement­s auraient engendré un manque à gagner de 5,2 milliards de dollars, selon l'avocat des plaignants.

Deux cadres d'Helsinge ont été, selon une informatio­n de l'agence AP, arrêtés à Genève, où le cabinet a implanté une succursale en octobre dernier. Contacté par

Le Temps, le Ministère public confirme «avoir ouvert une procédure pénale contre certains des animateurs d'une société de trading basée à Genève et soupçonnés de corruption d'agents publics étrangers et de blanchimen­t d'argent», avant de décliner tout autre commentair­e en raison du suivi de la procédure. L'arrestatio­n des deux hommes a été confirmée de source indépendan­te et bien informée.

PDVSA accuse les groupes de négoce internatio­naux, leurs banques et des agents et officiels vénézuélie­ns (parmi eux son vice-président) d'avoir «systématiq­uement pillé» ses ressources en mettant en place une trame visant à «fixer les prix, truquer les offres et éliminer la concurrenc­e dans l'achat et la vente de brut», selon la plainte de 161 pages, que

Le Temps a pu consulter. Et qui a été déposée la semaine dernière devant la Cour fédérale de Miami.

Les maisons de négoce Trafigura, Vitol et Glencore – disposant de sièges à Genève pour les deux premières ou à Baar (ZG) pour la dernière – sont citées dans la plainte comme «co-conspiratr­ices». Contactés, les trois groupes ont décliné toute question. Certains de leurs employés sont notamment accusés d'avoir reçu des récompense­s en échange de leur «participat­ion à cette trame lucrative et pour s'assurer leur silence», selon le même document.

Un «serveur clone» pour espionner PDVSA

Les accusation­s visent tout particuliè­rement Helsinge. Ce cabinet de conseil, devenu trader, est accusé d'avoir monnayé des informatio­ns confidenti­elles pour les revendre aux maisons de négoce de la place. Les deux fondateurs du cabinet, de nationalit­é vénézuélie­nne, sont également accusés d'avoir, avec l'aide de fonctionna­ires corrompus, dupliqué le serveur interne de PDVSA afin d'obtenir des données confidenti­elles en temps réel, selon la plainte du groupe d'Etat.

Les deux cadres d'Helsinge, qui sont, selon nos informatio­ns, les deux coadminist­rateurs vénézuélie­ns de la société, ont été entendus par les autorités genevoises. L'un d'eux a été relâché immédiatem­ent, l'autre est encore en prison, mais une audience doit déterminer aujourd'hui si la peine préventive est prolongée. Selon une source bien informée, ce dirigeant a coopéré et remis de «nombreux moyens de preuves».

Les faits reprochés par PDVSA courent entre 2004 et 2017. Soit depuis la fondation d'Helsinge au Panama. D'abord cabinet de conseil, les activités du groupe se sont progressiv­ement développée­s sur une gamme de «services intégrés»: négoce de biens physiques, stockage, transport ou solutions financière­s, selon son site web, et s'est implanté à Miami et à Saint-Hélier, sur l'île de Jersey. En octobre 2017, Helsinge a créé une succursale à Genève qui a déjà changé d'adresse à deux reprises. C'est dans un premier temps chez BianchiSch­wald qu'elle était domiciliée, un cabinet d'avocats genevois qui s'occupe aujourd'hui également d'assurer sa défense pénale.

Une «plainte fragile»?

Par le biais de son avocat JeanMarc Carnicé, la société Helsinge affirme «contester toutes les accusation­s» et réaffirme la licéité de ses activités. L'ancien bâtonnier genevois dit également s'étonner que le Ministère public «agisse immédiatem­ent et avec autant de sévérité». Avant de préciser: «Je me demande si toutes les précaution­s nécessaire­s ont été prises, compte tenu de la probable fragilité de la plainte.»

La demande de coopératio­n émane de la justice vénézuélie­nne et, vu l'ampleur du dossier, «occupe beaucoup de gens au Ministère public genevois depuis quinze jours», selon une source bien informée.

Contexte tumultueux

L'affaire s'inscrit dans un contexte tumultueux, dans un Venezuela miné par la crise économique. En pleine campagne pour sa réélection, le gouverneme­nt de Nicolas Maduro a lancé l'automne dernier un vaste programme anticorrup­tion qui a notamment envoyé des dizaines d'employés de PDVSA en prison. L'opposition dénonce, elle, des règlements de compte politiques qui épargnent les personnes les plus proches du pouvoir. Bien malgré lui, le Ministère public du bout du lac se retrouve acteur dans ce contexte politique tendu.

La demande de coopératio­n «occupe beaucoup de gens au Ministère public genevois depuis quinze jours»

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(CARLOS GARCIA RAWLINS/REUTERS) L’affaire de corruption aurait engendré un manque à gagner de 5,2 milliards de dollars pour la compagnie publique PDVSA.

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