Gare aux venins de l’amour
Victime d’une agression, une guérisseuse indienne essaie de retrouver sa place du côté des vivants dans «Le Chant des scorpions». Un drame safrané qu’illumine Golshifteh Farahani
Dans le désert du Rajasthan, Nooran (Golshifteh Farahani) soigne par le chant les piqûres de scorpion. Elle entonne au chevet des victimes une mélopée venue du fond des âges qui aspire le mal. Aadam (Irrfan Khan), marchand de chameaux veuf, est sous le charme de cette belle magicienne, mais, libre et insolente, elle l’éconduit sans ménagement.
Un soir, Nooran est appelée par un petit garçon pour aller soigner son grand frère, piqué par un scorpion. C’est un piège. Dans la nuit noire, elle est assommée et violée. Cette agression fait d’elle une étrangère au monde. Sa grand-mère bien aimée, guérisseuse elle aussi, a disparu. Le violeur l’a volée à elle-même. Elle a perdu tous ses chants, le poison s’est insinué en elle. Somnambulique, elle erre comme une âme en peine.
Aadam renouvelle ses déclarations d’amour. Elle accepte la proposition de mariage, mais prévient: «Je ne suis plus la même Nooran. Un autre s’est enfui avec elle.» Elle apprivoise la petite fille de son mari, elle finit par revenir du côté des vivants. Le violeur réapparaît et révèle à la jeune femme un secret qui anéantit ses illusions et l’engage sur la voie venimeuse de la vengeance.
Musique envoûtante
Des acteurs magnifiques. Une bonne histoire. Une musique envoûtante. Des images splendides, aux couleurs vives comme une ratatouille au tandoori. De l’ambition, puisque le film entend mêler des pratiques spirituelles immémoriales avec la réalité contemporaine la plus triviale, à savoir la misère sexuelle et la culture du viol en Inde, les scorpions au dard venimeux sont une métaphore des hommes.
Le Chant des scorpions a tout d’un grand film. Il lui manque toutefois une étincelle pour être le chef-d’oeuvre qu’il aurait pu devenir. La faute au rythme parfois languissant de l’oeuvre et à sa longueur excessive? A l’absence de quelques clés de compréhension culturelle – pourquoi Nooran doit-elle remettre l’argent qu’elle a gagné aux pauvres? A l’articulation un peu gauche des mythologies et de la sociologie? Restent, au dernier plan, les dunes plissées par les vents du temps, ondulant vers l’infini, résonnant d’un chant spectral, qui donnent à entrevoir la réalité de l’invisible.
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Chant des scorpions (The Song of Scorpions), d’Anup Singh (Suisse, France, 2017), avec Golshifteh Farahani, Irrfan Khan, Waheeda Rehman, Shashank Arora, 1h59
Projections en présence d’Anup Singh
et de Golshifteh Farahani: Genève, Scala, me 14 mars, 19h45; Lausanne, Galeries, je 15, 20h15