Une psy d’influence
Professeure à l’Université de Lausanne, cette psychologue de réputation mondiale utilise des outils de réalité virtuelle pour préparer les étudiants aux entretiens d’embauche et à parler en public
Dès qu’elle s’ennuie lors d’une réunion de travail, elle observe le comportement des participants et analyse la façon dont ils échangent les uns avec les autres. «Je suis fan des interactions sociales», explique Marianne Schmid Mast qui cherche à comprendre pourquoi, par exemple, les femmes se mettent moins en avant que les hommes lors de séances ou pourquoi certaines personnalités prennent le leadership alors que d’autres se mettent en retrait.
Professeure ordinaire en comportement organisationnel à la faculté des HEC de l’Université de Lausanne, elle fait partie des cinquante psychologues vivants les plus influents du monde, selon l’organisme Thebestschools.org. Seule Suissesse du classement publié en février, elle dit, avec beaucoup de modestie, ne pas très bien comprendre pourquoi son nom figure sur cette liste. «Ce classement s’est fait sur la base d’un algorithme dont on ne connaît pas vraiment les critères. Il a probablement analysé les informations publiques des chercheurs, la renommée de l’institution et les projets interdisciplinaires», dit celle qui figure au côté, entre autres, de Daniel Kahneman, psychologue et économiste américano-israélien, lauréat du Prix Nobel d’économie en 2002.
Un monde tridimensionnel
Avec douceur et dans un français parfait, cette native d’Olten arrivée à HEC Lausanne en 2014 explique comment elle entraîne ses étudiants aux entretiens d’embauche ou à prendre la parole en public. Pour cela, elle fait appel à des outils de réalité virtuelle qui permettent notamment de vaincre leur trac et d’améliorer leur discours. Muni de lunettes, le participant entre dans un monde tridimensionnel face à un public d’avatars qui n’hésitent pas à quitter la salle en cas d’ennui. «Nous aidons les étudiants à se préparer au niveau du contenu aussi bien verbal que non verbal. Ils apprennent à se déplacer dans l’espace, à faire des pauses dans le discours, à garder le contact visuel avec le public et à rester dans une posture ouverte», explique-t-elle avec une pointe de timidité malgré sa maîtrise parfaite de la communication.
Elle utilise aussi des logiciels de réalité virtuelle pour entraîner les étudiants aux entretiens d’embauche. «La personne est filmée face à un recruteur virtuel dont on peut moduler la sympathie», dit-elle en faisant une démonstration sur son ordinateur, dans son bureau au 6e étage du bâtiment Internef. Au mur, l’un de ses tableaux est accroché. Quand elle a le temps, elle peint, essentiellement des visages, fascinée par les regards. «Je n’ai aucune ambition particulière en matière de peinture. C’est un pur plaisir qui me permet de me relaxer», estime celle qui avoue avoir beaucoup de peine à lâcher prise.
Présidente de la commission HEC de l’égalité, elle revient à ses recherches et à son enseignement. «En plus de la réalité virtuelle, des senseurs sont capables de recon- naître les expressions faciales, la posture, les regards ou les mouvements de la tête de la personne filmée. Nous les utilisons pour comprendre comment ces signaux non verbaux peuvent influencer sur le fait de décrocher un poste ou non», explique-t-elle. Elle a aussi effectué une thèse sur les relations hiérarchiques dans des groupes de femmes. «Ces dernières ont une façon différente de gagner un rang, en faisant beaucoup plus jouer leur réseau ou leurs amitiés par rapport aux hommes», dit-elle. Elle ajoute, après quelques secondes de réflexion, qu’elle considère son propre statut hiérarchique comme assez bas dans un club de sport mais plus élevé au sein de l’institution académique. «C’est grâce à mon titre.»
De l’utilité du smartphone
Elle utilise aussi les nouvelles technologies dans son enseignement, lorsqu’il s’agit de captiver un auditoire de 200 étudiants. «Il faut beaucoup d’interactivité pour animer mon enseignement face à des étudiants dont le regard est figé sur leur écran d’ordinateur ou leur smartphone», constate-telle, avec une pointe d’agacement. «Certains étudiants feraient mieux de ne pas venir. Par contre, j’avoue que le smartphone a du bon pour d’autres aspects. Il offre la possibilité aux étudiants timides de poser des questions alors qu’ils n’oseraient pas le faire sans cet outil.» Marianne Schmid Mast était, de son côté, une élève sage, scolaire et disciplinée. «Fille unique, je me suis investie dans les études pour me détacher et montrer ma différence vis-à-vis de mes parents, tous deux employés de commerce. Ils ne m’ont jamais couvée et m’ont vite donné mon indépendance. Tout ce qu’ils voulaient, c’est que j’aie une profession pour ne dépendre de personne», dit celle qui a choisi d’effectuer sa maturité à Neuchâtel.
Elle démarrera sa carrière comme secrétaire à Zurich dans une entreprise d’informatique avant de partir six mois au Brésil. De retour en Suisse, elle s’inscrit en médecine dans l’idée de devenir psychiatre et réussit sa première année. Mais elle préfère bifurquer vers un master en psychologie à l’Université de Zurich, suivi d’une thèse, d’un post-doc à Boston où elle découvrira la réalité virtuelle. C’est aux Etats-Unis que naîtra son premier enfant, âgé aujourd’hui de 17 ans.
De retour en Suisse, elle a créé son premier laboratoire de réalité virtuelle à l’Université de Fribourg puis est nommée professeure ordinaire à l’Université de Neuchâtel avant de rejoindre l’UNIL.
Son deuxième enfant, de 9 ans seulement, vient de partir pour trois mois à Shanghai. «Il accompagne mon mari, également professeur de psychologie à l’Université de Berne, bénéficiant d’un congé sabbatique», dit-elle la gorge serrée alors qu’elle-même prévoit de s’envoler le lendemain pour les Etats-Unis.
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«Fille unique, je me suis investie dans les études pour me détacher et montrer ma différence vis-à-vis de mes parents»