Le Temps

«Il faut donner sa place à la Coupe UEFA»

L’ancien buteur argentin est un ardent défenseur de l’Europa League, qu’il continue d’appeler de son ancien nom. Celui qu’elle portait lorsque, gamin émerveillé, il regardait Maradona la gagner et rêvait de lui succéder. Ce qu’il fit

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

A la veille de l’ouverture du Salon de l’auto, l’UEFA présentait dans un grand hôtel genevois la prolongati­on pour trois ans d’un contrat de sponsoring liant le constructe­ur automobile Kia à l’Europa League. Il y avait là des dirigeants de la marque coréenne, des hôtesses en tenue crème, deux jongleurs, un animateur onctueux à souhait et, comme souvent, un ancien joueur resté dans le circuit comme ambassadeu­r, à qui l’on demande de dire quelques mots et de poser à côté du trophée. C’était Hernan Crespo.

Souvent, ces grands noms désolent les journalist­es autant qu’ils réjouissen­t les amateurs de selfies (plus personne ne semble demander d’autographe). Maism Crespo surprit tout le monde lorsqu’il se lança dans une évocation sincère et touchante de son rapport à cette étrange coupe hexagonale. «Lorsque j’étais enfant en Argentine, je ne rêvais pas de la Ligue des champions, je rêvais de la Coupe UEFA. Je me voyais jouer cette compétitio­n, soulever cette coupe. J’ai réalisé mon rêve en 1999 à Moscou contre Marseille [victoire 3-0, premier but de Crespo], et lorsque vous réalisez votre rêve d’enfant, toute votre vie s’en trouve changée.»

«Quand Diego jouait à Naples»

Un journalist­e auto aurait cherché à parler aux dirigeants coréens, pour savoir s’ils avaient choisi la Ligue Europa pour viser le marché de l’ex-bloc de l’Est (qui concentre 21 des 48 équipes engagées cette année en Europa League) ou simplement parce que la Ligue des champions était trop chère pour eux. Un journalist­e foot n’avait lui qu’une obsession: rattraper Crespo et comprendre cette passion incongrue dans un monde où la Ligue des champions écrase désormais tout le reste.

Avec l’aide de l’UEFA, un peu de patience et la compagnie de l’agence Reuters, il fut possible de parler à Hernan Crespo. «Je suis né avec la Coupe UEFA, expliqua d’emblée l’ancien buteur. C’est celle que je regardais à la télévision en Argentine parce que c’est celle que jouait Maradona.» Crespo ravivait un temps que les moins de 30 ans n’ont pas connu: celui où la Coupe des clubs champions ne qualifiait qu’un club par pays (plus le tenant du titre). «Quand Diego jouait à Naples [de 1984 à 1991], il y avait la Juve de Platini puis le Milan des Hollandais. Alors la télévision argentine montrait Naples en Coupe UEFA. Je me souviens très bien de l’année où il l’a gagnée. Mon rêve était de soulever un jour cette coupe comme lui l’avait fait à Stuttgart.»

En 1989, Maradona avait marqué à l’aller (2-1), offert trois passes décisives au retour (3-3) à Alemão, Ciro Ferrara et Careca. Cette année-là, Naples avait sorti le Lokomotiv Leipzig, les Girondins de Bordeaux, la Juventus et le Bayern. Il existe une vidéo, virale sur YouTube, où Maradona enchaîne des jongleries hallucinan­tes lacets défaits, au son de «Life Is Life»; c’était à Munich, à l’échauffeme­nt avant la demi-finale retour.

Ces images ont très fortement marqué et inspiré Hernan Crespo qui, dix ans après Diego, souleva à son tour le trophée le plus lourd du football internatio­nal (15 kilos). «Nous avions une équipe jeune et talentueus­e avec Buffon, Cannavaro, Thuram, Veron, Chiesa. Mais Parma, c’était quand même un petit club. On n’était rien comparé aux autres. Y être arrivé est une immense satisfacti­on.» Peutêtre la plus grande émotion de sa carrière.

«Tout aussi difficile à gagner»

Aurait-elle été surpassée s’il avait remporté la Ligue des champions? En 2005 à Istanbul, il a inscrit un doublé en finale, Milan menait 3-0 à la mi-temps. C’était contre Liverpool. Mais Crespo, qui a aussi gagné la Copa Libertador­es avec River Plate, ne veut pas comparer. «La «Champions» a aujourd’hui un pouvoir économique et médiatique incomparab­le mais il ne faut pas oublier la Coupe UEFA. A ce sujet, je ne suis pas convaincu que reverser les troisièmes de groupes de la Ligue des champions en Europa League soit une bonne chose. D’un côté, cela ajoute des noms prestigieu­x à la compétitio­n; mais de l’autre, cela donne l’impression qu’elle est de second niveau.»

L’an dernier, l’Argentin a eu «du plaisir à voir comment un club comme Manchester United s’est investi pour la gagner et comment ils l’ont fêté. C’est un club qui a une grande histoire et pourtant ils ont célébré cette coupe comme si c’était quelque chose. Parce qu’elle a quelque chose de spécial.»

Aujourd’hui, Hernan Crespo milite pour revalorise­r l’Europa League, qu’il continue d’appeler de son ancien nom. «Je crois qu’il faut donner toute sa place à la Coupe UEFA, qui n’est pas la petite soeur de la Ligue des champions. C’est une autre compétitio­n, avec ses propres valeurs, avec sa propre histoire, avec d’autres équipes mais qui est tout aussi difficile à gagner. Vous savez, ce sont toujours ceux qui ne réussissen­t pas qui disent que c’était facile. Ceux qui réalisent les choses savent combien c’est difficile.»

«Mon rêve était de soulever un jour cette coupe comme Maradona l’avait fait à Stuttgart» HERNAN CRESPO

 ?? (GABRIEL BOUYS/AFP PHOTO) ?? Hernan Crespo, juste après avoir marqué le premier but de la finale de la Coupe UEFA contre Marseille, le 12 mai 1999 à Moscou.
(GABRIEL BOUYS/AFP PHOTO) Hernan Crespo, juste après avoir marqué le premier but de la finale de la Coupe UEFA contre Marseille, le 12 mai 1999 à Moscou.

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