Le Temps

A Genève, le récit d’une jeune judoka captive de son gourou

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

La victime a raconté comment son entraîneur avait pris le contrôle de sa vie et de son corps. Le Ministère public a requis 3 ans de prison avec sursis partiel contre cet ancien maître des arts martiaux

«J’avais 15 ans et une partie de moi l’aimait.» Au second jour du procès de l’ancien entraîneur de l’élite du judo genevois, la victime a raconté comment ce maître avait envahi toute son existence et avait réussi à lui imposer des rapports sexuels alors qu’elle était encore mineure. «Il avait pris beaucoup de place dans ma vie. Quand on est en admiration devant quelqu’un, il va obtenir ce qu’il veut. On peut dire non, mais on se sent obligé de dire oui.»

Peur de tout perdre

La matinée a été longue et éprouvante pour Clara*. La jeune fille a confirmé que le prévenu avait commencé par des attoucheme­nts lors des prises de judo alors qu’elle n’avait que 12 ou 13 ans, et avait menacé de la priver de compétitio­n si elle ne cédait pas à ses avances. Il l’avait d’abord violentée pour la contraindr­e à des actes sexuels et l’avait ensuite le plus souvent convaincue de se laisser faire. «C’est comme si je n’étais plus là et que mon âme était sortie de mon corps.» Une situation déchirante et compliquée. «Pour moi, il était un confident et un mentor. J’avais beaucoup de respect pour le coach, il était le meilleur, mais jamais je n’aurais voulu qu’il soit mon amant ou mon amoureux.»

L’adolescent­e n’a pas parlé des abus à ses proches ou à ses amis. Elle avait surtout peur que cette vérité mette un terme à sa carrière sportive dans le judo et la prive de sa passion. Elle pense aussi que le prévenu, qui était aussi son coach mental, lui avait en quelque sorte lavé le cerveau. «C’était devenu normal pour moi.» Le président du tribunal lui demande les raisons des «grandes, grandes différence­s» dans ses déclaratio­ns lors de l’enquête, notamment sur la nature et la fréquence des rapports. «Je n’arrivais pas à dire tout d’un coup.»

Dans certains messages écrits ou vocaux, Clara l’appelait «mon amoureux à moi», disait qu’elle l’aimait «trop, trop» et qu’elle voulait être «dans ses bras». Aujourd’hui, elle met ces mots sur le compte de la manipulati­on exercée par ce deuxième père, plus disponible que le sien, celui qu’elle appelait à l’aide quand ça n’allait vraiment pas et chez qui elle passait le plus clair de son temps. En plus des séances d’entraîneme­nt, elle était invitée à manger trois fois par semaine chez le maître avec l’épouse et les deux fils. Quand la défense lui demande: «Quel sentiment le prévenu avait-il pour vous?» Clara répond: «Ben, il était amoureux. Il me le disait.»

Aux yeux de la procureure Rita Sethi-Karam, c’est surtout un sentiment de dégoût qui transpire de tout ce dossier. Contre le coach, qui a utilisé son aura et sa puissance pour violer cette enfant, le Ministère public a requis une peine privative de liberté de 3 ans, dont 12 mois de prison ferme, ainsi qu’une interdicti­on d’enseigner auprès des mineurs. Me Lorella Bertani, conseil des parties plaignante­s, a enchaîné sur le thème de l’emprise. «Il était partout, tout le temps. Il s’est immiscé dans tous les interstice­s de la vie de celle qui était devenue comme sa fille.»

Distorsion de la réalité

Le prévenu n’était pas seulement l’entraîneur de Clara, il s’était transformé en une sorte de gourou, ajoute l’avocate. Durant trois ans, elle a vécu une distorsion de la réalité qui l’a amenée à faire semblant que tout va bien. «Elle n’a pas pu inventer ces détails», relève encore Me Bertani tout en soulignant que les messages du prévenu reflètent «la violence de son désir». A la défense, Me Valérie Pache Havel va s’évertuer à faire de cette histoire quelque chose de moins glauque. La lecture du tribunal sera connue la semaine prochaine.

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