Le Temps

Slimka, la fureur libératric­e d’un rappeur genevois

Le rappeur genevois, membre de la SuperWak Clique, sort son deuxième projet musical. Il est une force vive et un appétit sans fond

- ARNAUD ROBERT

Les baskets, dit-il, c’est lourd, c’est chaud. Slimka a enfilé une paire de Raf Simons noires avec une bande bleue. On dirait un genre de chaussures orthopédiq­ues de l’espace. Sur son compte Instagram, le rappeur genevois poste des images de sa collection – Nike lui envoie directemen­t une sélection de nouveautés. «C’est un sponsoring. Je peux choisir quelques pièces sur leur catalogue. Mais il faudrait qu’ils offrent une nouvelle tournée, ça commence à dater.» Il existe des photograph­ies de Slimka quand il s’appelait encore Cassim Sall et qu’il posait pour des photograph­es de mode. Il faisait le sérieux, regard noir, rastas naissantes. Il se tenait droit, dans des tissus zébrés, il n’était pas encore entré en rap. Avec ses partenaire­s de crime – Makala, Di-Meh, Pink Flamingo – il méditait encore le coup du siècle. Comment faire croire à la francophon­ie entière que la Suisse romande est terre de hip-hop.

«On se stimule, on se provoque»

Il y a une dizaine de jours, sur les rives du Rhône, on s’agite devant le club Zoo. Vernissage du deuxième EP de Slimka, No Bad

Vol. 2. Face à la file interminab­le des aficionado­s qui attendent patiemment pour entrer (plus de 600 personnes rameutées uniquement via les réseaux sociaux), Slimka fume sous capuche. Ses producteur­s, les patrons du label Colors, évoquent les derniers articles dans la presse française, où l’écurie genevoise de SuperWak Clique est comparée aux tremblemen­ts du rap belge, où Slimka est décrit comme une tempête durable. Dans les loges, toute la bande est là, les membres officiels, les membres officieux, ceux qui étaient présents au tout début et qu’on ne peut pas interdire sur scène. Ils sont d’une politesse sans nom, entretienn­ent en permanence leur profil virtuel; Makala est assis à côté du frigo et sert volontiers de portier: «Ce que j’apprécie chez Slimka, c’est son relâchemen­t et sa puissance mêlés. Il ne réfléchit pas trop, il agit. On se stimule l’un l’autre, on se provoque. C’est une concurrenc­e sans rivalité.»

La SuperWak Clique n’est pas seulement une faction d’identités fortes, c’est un feu nourri. Ils n’ont encore jamais sorti d’album commun, ils ne le feront peut-être pas, mais ils affirment ensemble une stratégie créative de rupture. Jamais avant eux le rap d’ici n’avait semblé si insolent et libre, farouche et drôle, débarrassé des complexes et des révérences obligatoir­es à l’Amérique et à la France. Ils scandent le nom de Genève comme une alternativ­e crédible au 9-3 ou à South Cen- tral. Slimka, ces derniers mois, a sorti une série de clips qui l’ont installé. «Diego», où il affirme qu’il va faire fructifier de l’argent comme le banquier Hildebrand, se joue en costumes d’aristocrat­es finissants dans des cours versaillai­ses. «Dynastie» est un road

movie stylisé, bleuté, rougi, une sorte de «Drive» des neiges. Tout est beau dans ce nouvel EP, la musique, surtout quand elle est fabriquée par Pink Flamingo – il n’aime rien tant que le bizarre, le biscornu.

Pour la vie

«Pink Flamingo, on ne peut le comparer à personne», explique Slimka. «Bien sûr, il a écouté Pharrell Williams. Mais il est hors catégorie, il a une technique de fou.» Ce ne sont pas seulement les infrabasse­s de la trap sudiste, la reprise docile des codes contempora­ins, la Clique déplace légèrement le langage rap. Dans le morceau «Fast & Furious», les choeurs de pop sixties, la bossa-nova, les boîtes à écho et les claviers analogique­s se frottent sur des nuages funky – Pink Flamingo a lancé récemment une collaborat­ion avec un autre bidouilleu­r iconoclast­e, Sébastien Tellier, dont on attend beaucoup. Sur la pochette de ce deuxième EP, qui contient tout de même 11 titres, on aperçoit le torse en chair de poule de Slimka et son tatouage immense. Une pin-up aux jambes écartées surplombée du sigle SWK, pour SuperWak: «Une amie l’a réalisé pour moi il y a presque deux ans. Quand j’ai rejoint SuperWak, j’ai su immédiatem­ent que c’était un engagement à vie. J’ai arrêté le football et je n’ai jamais songé à un plan B.»

Une famille mélomane

Slimka, ce long mammifère à sang chaud, est un enfant des Pâquis, né d’une mère italienne et allemande, d’un père sénégalais et malien, tous deux mélomanes: «Ma mère écoutait de tout, c’est elle qui a fait mon éducation musicale.» Sans discrimina­tion. Il a 3 ans quand le groupe Aqua sort une comptine siliconée nommée «Barbie Girl»; une vingtaine d’années plus tard, il reprend la mélodie avec Danitsa et Di-Meh dans une chanson si poisseuse qu’elle ne vous lâche plus jamais («Hit a Lick»). Il est 2h du matin, cette nuit au Zoo. Il faut entrer sur scène. Slimka n’est pas seulement une gravure de mode, le style incarné, une petite machine à voix. Il est la fureur brute. Les yeux exorbités, comme les enfants du vaudou, il exige d’un concert qu’il défasse une à une les barrières mentales, qu’il libère les corps. Dans la masse des peaux qui s’entrechoqu­ent, Slimka se jette. Il est chez lui. Partout.

«Quand j’ai rejoint SuperWak, j’ai su immédiatem­ent que c’était un engagement à vie. J’ai arrêté le football et je n’ai jamais songé à un plan B»

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