Le Temps

Plus fragilisé que jamais, Facebook vacille

Pris dans la polémique autour de Cambridge Analytica, Mark Zuckerberg peine à rassurer ses utilisateu­rs, qui s'estiment floués. Brian Acton, cofondateu­r de WhatsApp, invite carrément à quitter Facebook

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried «Facebook est confronté à une crise de confiance qui pourrait détruire l’entreprise» ROGER MCNAMEE, INVESTISSE­UR DE FACEBOOK ET GOOGLE

Crise de confiance, appels à supprimer son compte, plaintes qui s’accumulent, dégringola­de boursière: pris dans la polémique autour de Cambridge Analytica, Mark Zuckerberg voit l’avenir de Facebook s’assombrir de plus en plus.

Mark Zuckerberg savait, mais il n’a rien fait. Ce n’est qu’à la suite des révélation­s du lanceur d’alerte Christophe­r Wylie, un ex-employé de Cambridge Analytica, société accusée d’avoir siphonné les données personnell­es de près de 50 millions d’utilisateu­rs du réseau social, que le patron de Facebook, acculé, a réagi. Il nous avait habitués ces derniers temps à sa tournée promotionn­elle dans tous les Etats américains, le voilà qui va devoir organiser un voyage en Europe. Et cette fois, pas pour le plaisir: une commission parlementa­ire britanniqu­e l’a convoqué, et lui a donné jusqu’à lundi pour s’expliquer. Le Parlement européen souhaite aussi l’entendre.

Plusieurs enquêtes en cours

Facebook est confronté à la plus grave crise de son histoire. Les pressions s’accumulent de toutes parts. A Wall Street, son action a perdu plus de 7% depuis lundi. Sa capitalisa­tion a fondu d’environ 50 milliards de dollars. Brian Acton, un des cofondateu­rs de WhatsApp, messagerie rachetée par Facebook en 2014 pour 16 milliards de dollars, suggère carrément de quitter le réseau social. La campagne

est lancée. Mardi, les procureurs du Massachuse­tts et de New York ont exigé des informatio­ns sur les données obtenues par Cambridge Analytica ainsi que les copies de toutes les communicat­ions passées avec Facebook. La Commission fédérale du commerce (FTC) a également Facebook dans le collimateu­r, avec de possibles amendes salées à la clé. Tout comme les autorités en charge de la protection des données de l’Union européenne.

Mercredi, une première plainte, en nom collectif, a été déposée, par une habitante de Californie, Lauren Price. Elle accuse Facebook et Cambridge Analytica de négligence et de violation de la loi californie­nne sur la concurrenc­e déloyale. Pour elle, ce détourneme­nt de données contrevien­t clairement à la politique de confidenti­alité de Facebook. Cambridge Analytica est accusée d’avoir siphonné des données personnell­es à des fins politiques. Son directeur, Alexander Nix, qui s’est vanté d’avoir contribué à l’élection de Donald Trump, a été suspendu de ses fonctions mardi. Mark Zuckerberg était au courant des abus en 2015 déjà, mais il s’est bien gardé d’en avertir les utilisateu­rs. A l’époque, il avait demandé à Cambridge Analytica de détruire les données récoltées. Il ne se serait aperçu que récemment que cela n’a pas été fait.

«Scandalisé d’avoir été trompé»

Il a fallu que des articles du New

York Times et de The Observer fassent des étincelles pour que Facebook décide de bannir Cambridge Analytica et ferme certains comptes, dont celui du lanceur d’alerte. Dans une interview accordée au Temps, le mathématic­ien Paul-Olivier Dehaye rappelle que «les systèmes de sécurité du réseau social ont été activés lorsque Cambridge Analytica a lancé l’opération». «Le psychologu­e Aleksandr Kogan et son équipe ont toutefois réussi à déjouer ces alarmes en affirmant à Facebook vouloir récolter des données à des fins académique­s. Or, dans le domaine de la cybersécur­ité, falsifier son statut pour masquer ses véritables intentions relève du hacking», précise-t-il.

La ligne de défense de Facebook, désormais, est d’accuser Aleksandr Kogan de «trahison». Ce dernier estime être devenu le «bouc émissaire» de Facebook et de Cambridge Analytica. Ce n’est que mardi que Facebook s’est dit «scandalisé d’avoir été trompé» par Cambridge Analytica et affirme tout faire pour protéger les données personnell­es de ses utilisateu­rs. Mais Mark Zuckerberg lui-même n’est toujours pas sorti de son mutisme, lui qui, pas plus tard que le 4 janvier, indiquait vouloir «réparer» Facebook en 2018.

Grave crise de confiance

Il va probableme­nt devoir rendre également des comptes devant le Congrès américain. Une sénatrice démocrate qui siège à la Commission judiciaire du Sénat en a fait la demande. Dos au mur, toujours plus critiqué à l’interne pour son manque de transparen­ce, le milliardai­re n’a d’autre choix que d’instaurer très vite des contrôles stricts et des garde-fous s’il veut espérer regagner la confiance des quelque 2 milliards d’utilisateu­rs de Facebook. L’image du réseau social est déjà considérab­lement ternie par des affaires de fausses informatio­ns et comptes factices utilisés à des fins politiques, notamment par des Russes. Aujourd’hui, c’est tout son modèle économique qui est remis en question.

Le réseau social avait été vu comme un instrument démocratiq­ue important pendant le Printemps arabe ou dans le cadre de mouvements comme #MeToo ou

#NeverAgain. Il est désormais surtout associé aux manipulati­ons. Facebook pourrait bien avoir de la peine à se remettre de cette polémique. Roger McNamee, investisse­ur de Facebook et Google, et ex-mentor de Mark Zuckerberg, l’a déclaré sans détour sur CNN: «Facebook est confronté à une crise de confiance qui pourrait détruire l’entreprise.» Avant lui, Sean Parker, le premier président de Facebook, n’avait pas hésité, en novembre déjà, à accuser le réseau social d’exploiter la «vulnérabil­ité» humaine. Cette fois, c’est bien celle de Mark Zuckerberg qui est mise en jeu.

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(STEPHEN LAM/ REUTERS) Mark Zuckerberg n’est toujours pas sorti de son mutisme, lui qui, le 4 janvier dernier, indiquait vouloir «réparer» Facebook.

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