Le Temps

Face à Macron, les doutes des syndicats

La première grande journée de grève du quinquenna­t va montrer si le président français conserve l’avantage face aux syndicats. Lesquels cherchent aussi une sortie de crise

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le symbole mérite d’être rappelé. C’est le 22 mars 1968 que fut forgé, à la faculté de Nanterre, l’embryon de la contestati­on étudiante qui accoucha de la révolte de mai 1968. Le 22 mars 2018 restera-t-il aussi une date emblématiq­ue de la colère sociale française, alors que la grève des cheminots et des fonctionna­ires organisée ce jeudi rêve de mettre le quinquenna­t Macron au pied du mur? A Voir. Même si des centaines de milliers de grévistes répondent à l’appel des cheminots et des fonctionna­ires à travers le pays, la capacité de ce mouvement social à enrayer les réformes annoncées de la SNCF, de la fonction publique et des régimes de retraite (prévue pour 2019) est jugée plutôt faible par de nombreux observateu­rs: «On a bien vu l’an dernier, avec la réforme du Code du travail par ordonnance­s, que la mobilisati­on massive n’était pas au rendez-vous, juge un vétéran des questions sociales. Même la CGT n’a pas intérêt à ce que la situation dégénère. Confronté à une baisse sévère de ses adhérents, le syndicat doit montrer son efficacité de négociateu­r, pas seulement sa capacité d’obstructio­n.»

Sur le papier, les manifestat­ions prévues dans toutes les grandes villes de France donneront le top départ d’une contestati­on durable autour de deux fronts bien identifiés: celui des cheminots, opposés à la réforme de la SNCF qui entérine l’abandon de leur statut particulie­r, et celui des fonctionna­ires, inquiets des propositio­ns du gouverneme­nt pour un plan massif de départs volontaire­s dans le secteur public. Deux fronts qui fédèrent d’autres colères, comme celle des employés des maisons de retraite, qui dénoncent la dégradatio­n de leurs conditions de travail, ou celle des enseignant­s hostiles à la réforme du baccalauré­at.

Grève de deux jours sur cinq

L’action la plus marquante, après cette première journée de manifestat­ions à l’appel des principaux syndicats français, sera la mise en oeuvre d’une grève perlée de deux jours sur cinq à la SNCF, d’avril à juin. Ce qui pourrait compliquer sérieuseme­nt la vie des usagers des transports publics. Entre 35 et 50% des TGV Lyria au départ de la Suisse devraient être opérationn­els ce jeudi.

Emmanuel Macron et son premier ministre Edouard Philippe (issu de la droite) apparaisse­nt néanmoins plutôt sereins. Outre le fait que plus de 60% des Français, selon les sondages, continuent de soutenir leurs réformes – même si leur popularité respective est en baisse (42% de satisfaits pour le président, 43% pour son premier ministre) –, l’exécutif mise sur l’épuisement du mouvement grâce à sa «légitimité politique forte» face aux grévistes. L’entourage des deux hommes insiste sur le fait que la donne est, pour eux, très différente de celle de l’hiver 1995, lorsqu’un tsunami de mécontente­ments sociaux avait forcé le gouverneme­nt d’Alain Juppé à reculer. Et ce, même si Edouard Philippe est, ironie de l’histoire, un fidèle du maire de Bordeaux… «Contrairem­ent à Jacques Chirac, Emmanuel Macron ne s’est pas fait élire sur la fracture sociale, explique un de ses proches. Son livre, publié durant la campagne, s’intitulait d’ailleurs Révolution­s. On a affiché la couleur. Notre déterminat­ion à réformer n’est pas une surprise.»

Le syndicat CGT, de son côté, doit tirer les leçons de 2016 et de 2017. Ces deux dernières années, sa ligne dure, illustrée par les violentes manifestat­ions de juin 2016 contre la loi «travail» sous le quinquenna­t de François Hollande, n’a pas enrayé son dépassemen­t par la CFDT réformiste, désormais en tête dans le secteur privé. La CGT n’a pas non plus réussi à empêcher l’an passé que le syndicat Force ouvrière, très puissant chez les fonctionna­ires, se désolidari­se de sa volonté de blocage. Autres signes que le front social est morcelé: la nomination par l’Elysée, hier, de l’ancienne secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat au poste convoité de représenta­nt de la France à l’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT). Et le soutien officieux de l’exécutif à deux candidats au profil «social-démocrate», l’Auvergnat Patrick Martin et le Nordiste Frédéric Motte, pour la succession du libéral Pierre Gattaz à la présidence du Medef, le patronat français, en juillet 2018.

Une expression avait eu beaucoup de succès lors de la paralysie ferroviair­e de 1995: les Français avaient alors «fait grève par procuratio­n» en soutenant les syndicats malgré la gêne occasionné­e. Sont-ils prêts à signer, vingt-trois ans plus tard, une procuratio­n identique? Pas sûr. La volonté du gouverneme­nt d’étendre les assurances chômage aux démissionn­aires et aux indépendan­ts brouille par exemple les cartes sociales. A preuve: selon l’institut de sondage IFOP, huit Français sur dix se déclarent désormais favorables aux contrôles accrus des demandeurs d’emploi, présentés comme indispensa­bles par le gouverneme­nt. Et combattus avec virulence par les syndicats.

«Contrairem­ent à Jacques Chirac, Emmanuel Macron ne s’est pas fait élire sur la fracture sociale»

UN PROCHE DU PRÉSIDENT FRANÇAIS

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