Face à Macron, les doutes des syndicats
La première grande journée de grève du quinquennat va montrer si le président français conserve l’avantage face aux syndicats. Lesquels cherchent aussi une sortie de crise
Le symbole mérite d’être rappelé. C’est le 22 mars 1968 que fut forgé, à la faculté de Nanterre, l’embryon de la contestation étudiante qui accoucha de la révolte de mai 1968. Le 22 mars 2018 restera-t-il aussi une date emblématique de la colère sociale française, alors que la grève des cheminots et des fonctionnaires organisée ce jeudi rêve de mettre le quinquennat Macron au pied du mur? A Voir. Même si des centaines de milliers de grévistes répondent à l’appel des cheminots et des fonctionnaires à travers le pays, la capacité de ce mouvement social à enrayer les réformes annoncées de la SNCF, de la fonction publique et des régimes de retraite (prévue pour 2019) est jugée plutôt faible par de nombreux observateurs: «On a bien vu l’an dernier, avec la réforme du Code du travail par ordonnances, que la mobilisation massive n’était pas au rendez-vous, juge un vétéran des questions sociales. Même la CGT n’a pas intérêt à ce que la situation dégénère. Confronté à une baisse sévère de ses adhérents, le syndicat doit montrer son efficacité de négociateur, pas seulement sa capacité d’obstruction.»
Sur le papier, les manifestations prévues dans toutes les grandes villes de France donneront le top départ d’une contestation durable autour de deux fronts bien identifiés: celui des cheminots, opposés à la réforme de la SNCF qui entérine l’abandon de leur statut particulier, et celui des fonctionnaires, inquiets des propositions du gouvernement pour un plan massif de départs volontaires dans le secteur public. Deux fronts qui fédèrent d’autres colères, comme celle des employés des maisons de retraite, qui dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail, ou celle des enseignants hostiles à la réforme du baccalauréat.
Grève de deux jours sur cinq
L’action la plus marquante, après cette première journée de manifestations à l’appel des principaux syndicats français, sera la mise en oeuvre d’une grève perlée de deux jours sur cinq à la SNCF, d’avril à juin. Ce qui pourrait compliquer sérieusement la vie des usagers des transports publics. Entre 35 et 50% des TGV Lyria au départ de la Suisse devraient être opérationnels ce jeudi.
Emmanuel Macron et son premier ministre Edouard Philippe (issu de la droite) apparaissent néanmoins plutôt sereins. Outre le fait que plus de 60% des Français, selon les sondages, continuent de soutenir leurs réformes – même si leur popularité respective est en baisse (42% de satisfaits pour le président, 43% pour son premier ministre) –, l’exécutif mise sur l’épuisement du mouvement grâce à sa «légitimité politique forte» face aux grévistes. L’entourage des deux hommes insiste sur le fait que la donne est, pour eux, très différente de celle de l’hiver 1995, lorsqu’un tsunami de mécontentements sociaux avait forcé le gouvernement d’Alain Juppé à reculer. Et ce, même si Edouard Philippe est, ironie de l’histoire, un fidèle du maire de Bordeaux… «Contrairement à Jacques Chirac, Emmanuel Macron ne s’est pas fait élire sur la fracture sociale, explique un de ses proches. Son livre, publié durant la campagne, s’intitulait d’ailleurs Révolutions. On a affiché la couleur. Notre détermination à réformer n’est pas une surprise.»
Le syndicat CGT, de son côté, doit tirer les leçons de 2016 et de 2017. Ces deux dernières années, sa ligne dure, illustrée par les violentes manifestations de juin 2016 contre la loi «travail» sous le quinquennat de François Hollande, n’a pas enrayé son dépassement par la CFDT réformiste, désormais en tête dans le secteur privé. La CGT n’a pas non plus réussi à empêcher l’an passé que le syndicat Force ouvrière, très puissant chez les fonctionnaires, se désolidarise de sa volonté de blocage. Autres signes que le front social est morcelé: la nomination par l’Elysée, hier, de l’ancienne secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat au poste convoité de représentant de la France à l’Organisation internationale du travail (OIT). Et le soutien officieux de l’exécutif à deux candidats au profil «social-démocrate», l’Auvergnat Patrick Martin et le Nordiste Frédéric Motte, pour la succession du libéral Pierre Gattaz à la présidence du Medef, le patronat français, en juillet 2018.
Une expression avait eu beaucoup de succès lors de la paralysie ferroviaire de 1995: les Français avaient alors «fait grève par procuration» en soutenant les syndicats malgré la gêne occasionnée. Sont-ils prêts à signer, vingt-trois ans plus tard, une procuration identique? Pas sûr. La volonté du gouvernement d’étendre les assurances chômage aux démissionnaires et aux indépendants brouille par exemple les cartes sociales. A preuve: selon l’institut de sondage IFOP, huit Français sur dix se déclarent désormais favorables aux contrôles accrus des demandeurs d’emploi, présentés comme indispensables par le gouvernement. Et combattus avec virulence par les syndicats.
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«Contrairement à Jacques Chirac, Emmanuel Macron ne s’est pas fait élire sur la fracture sociale»
UN PROCHE DU PRÉSIDENT FRANÇAIS