Le Temps

Israël révèle avoir bombardé une centrale nucléaire syrienne

- ALINE JACCOTTET, TEL-AVIV

Dans une région plus instable que jamais, les Israéliens tiennent à rappeler leurs capacités de renseignem­ent et de combat

Après onze ans de censure, l’Etat hébreu a levé le silence sur une opération qui a fait la une des médias israéliens mercredi: celle qui a mené en 2007 à la destructio­n du «Cube», une centrale nucléaire syrienne menaçant Israël.

Cet édifice, planté au beau milieu du désert syrien et qui devait son surnom à sa forme, était scruté par la défense israélienn­e depuis novembre 2006. En mars 2007, l’extraordin­aire négligence d’Ibrahim Othman, le chef de la Commission de l’énergie atomique syrienne qui quitte son hôtel sans son ordinateur personnel, permet aux Israéliens de mettre la main sur des preuves déterminan­tes. Trentecinq photos de l’intérieur du Cube montrent le réacteur et toute l’infrastruc­ture ainsi que la présence de Nord-Coréens, ce qui confirme l’aide apportée par Pyongyang à Damas dans cette entreprise.

Seize tonnes de bombes

Après plusieurs semaines de discussion­s au sommet de l’Etat, les militaires et le renseignem­ent conviennen­t d’une stratégie. Il s’agira d’éliminer toute menace, mais assez discrèteme­nt pour éviter que le président syrien Bachar el-Assad, humilié publiqueme­nt, ne déclare la guerre à Israël, sorti passableme­nt démoralisé de sa confrontat­ion avec le Hezbollah une année plus tôt.

Dans la nuit du 6 septembre 2007, craignant que des révélation­s compromett­ent leur opération, les Israéliens passent à l’action. Quatre F-15I et quatre F-16I lancent 16 tonnes de bombes sur le site lors d’une opération baptisée «Verger». La discrétion payera: l’après-midi, la Syrie réagit dans un communiqué laconique ne mentionnan­t qu’une intrusion israélienn­e dans son espace aérien. Dans les mois qui suivent, le régime syrien achève de détruire le bâtiment et refuse la visite de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA) sur le site, affirmant qu’il n’y a rien à y voir. S’ensuivront quasi onze ans de silence.

«En Israël, on a l’impression qu’on ne peut plus compter sur personne»

UZI RABI, DIRECTEUR DU CENTRE MOSHE DAYAN POUR LES ÉTUDES AFRICAINES ET DU PROCHEORIE­NT DE L’UNIVERSITÉ DE TEL-AVIV

Deux raisons expliquent pourquoi la censure autour de cette opération est levée maintenant. Il y a tout d’abord la guerre des ego, celle qui oppose Ehoud Olmert, premier ministre en 2007, à Ehoud Barak, alors ministre de la Défense. La rivalité entre les deux hommes est connue: elle explique en partie la chute du gouverneme­nt en 2007 et le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou. Or, Ehoud Olmert sort cette semaine ses mémoires dans lesquels il raconte comment il a géré l’opération contre l’installati­on nucléaire syrienne, espérant sans doute redorer son blason après avoir passé plusieurs mois en prison pour corruption.

Une telle initiative n’est pas du goût de son ancien ministre Ehoud Barak, qui s’apprête à livrer sa version dans une autobiogra­phie à paraître en mai. Ce dernier a qualifié l’atmosphère régnant dans la cellule qui avait décidé de l’opération en 2007 d’«hystérique». Une réaction fort peu appréciée par l’actuel ministre de la Défense Avigdor Lieberman qui a affirmé mercredi soir regretter d’avoir levé la censure face aux polémiques qui s’annoncent, chacun revendiqua­nt le succès de l’opération, Mossad et renseignem­ents militaires compris.

«Plus jamais ça»

Mais au-delà des attaques personnell­es, c’est dans l’angoisse israélienn­e qu’il faut chercher les motifs de ces révélation­s. «En voyant ce que le régime syrien fait à son peuple, je n’ose imaginer ce qu’il serait capable de commettre envers les Israéliens», affirme Uzi Rabi, directeur du centre Moshe Dayan pour les études africaines et du Proche-Orient de l’Université de Tel-Aviv. Or, les avancées du régime de Damas amènent les troupes syriennes toujours plus près de la frontière avec Israël.

Par ailleurs, estime Uzi Rabi, «en Israël, on a l’impression qu’on ne peut plus compter sur personne: les Etats-Unis ne veulent pas bouger, les Européens sont naïfs et le Proche-Orient en morceaux». Certes, il serait plus difficile de s’attaquer à l’Iran qui possède une capacité nucléaire bien supérieure à celle de la Syrie de 2007. Cependant, l’essentiel est de donner un message clair. «En cette période de l’année où nous commémoron­s la Shoah, nous voulons redire au monde: plus jamais ça. Et si personne ne peut nous le garantir, alors nous nous en assurerons nous-mêmes», souligne Uzi Rabi. Un ton qui fait écho à celui du ministre de la Défense Avigdor Lieberman mercredi: «La motivation de nos ennemis a augmenté mais notre armée, notre aviation et nos capacités de renseignem­ent sont bien plus fortes qu’en 2007. Cette équation, chacun a intérêt à en tenir compte au Moyen-Orient.»

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