Le procès de Tarnac, miroir national
Un mot, d’abord, sur le procès en cours du «groupe de Tarnac». Les impératifs de l’actualité obligent malheureusement les correspondants étrangers en France à passer d’un sujet à l’autre. C’est ainsi. Après l’ouverture, le 13 mars, du procès des huit militants d’ultra-gauche installés au début des années 2000 dans ce hameau du Massif central et accusés pour les uns de sabotage ferroviaire et pour les autres de complicité ou falsification de documents, l’auteur de ces lignes a donc déserté les audiences dans la salle des criées du Palais de justice de Paris. Erreur. La justice n’est racontable que dans le temps long, à la condition d’en saisir tous les détails et toutes les aspérités.
Au menu? Le visage fermé de tel ex-militant «révolutionnaire», qui confine à l’arrogance. L’habileté de la présidente de la 14e chambre du Tribunal correctionnel de Paris, consciente que ce dossier très médiatique, emblématique des précipitations sécuritaires du quinquennat Sarkozy, doit être abordé avec d’infinies précautions. Les formules assassines employées par le leader et présumé «gourou» du «groupe de Tarnac», Julien Coupat, lorsqu’il s’avance pour dire au micro: «Je ne serai pas ce vermisseau humain qui se tire-bouchonne devant l’auguste justice pour essayer d’amoindrir les charges qui pèsent sur lui»…
Toutes ces scènes permettent de dévoiler la face cachée de l’étonnant retournement constitué par le procès public du «groupe de Tarnac». Lors de leur arrestation puis de leur incarcération en 2008-2009, ses membres furent présentés au public comme «terroristes» et comme un danger pour la sécurité nationale. Des accusations mises à mal par les faux pas de l’enquête et de l’instruction ayant engendré la levée, en janvier 2017, de la qualification «terroriste». Dont acte. Les rodomontades des politiciens de l’époque – notamment celles de l’ex-ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie – apparaissent d’autant plus ridicules et pathétiques.
Priorité au faits
Mais faut-il pour autant édulcorer le passé tumultueux de ces jeunes qui rêvaient, dans leur ferme du Massif central, de «l’insurrection qui vient», quitte à assumer alors leur passage dans l’illégalité? Que penser de leurs défenseurs qui s’activent en coulisses pour lisser le plus possible l’itinéraire de leurs clients, pourtant relaté par les enquêteurs dans des procès-verbaux certes controversés et démolis par la défense, mais néanmoins pièces au dossier et disséqués lors des audiences? En clair, une affaire, aussi mal ficelée soit-elle, dissipet-elle définitivement la vérité d’un procès? La question mérite réflexion. Raconter les audiences jour après jour, dire le contenu du dossier, mais aussi s’attarder sur chaque personnage, décrire leurs faits et gestes, entendre les accusations portées et leurs réponses, est un travail journalistique salutaire et qui doit être respecté.
Cette approche du détail, de la passion de la justice sous tous ses angles, est au coeur du formidable livre Jours de crimes (Ed. L’Iconoclaste), signé par Pascale RobertDiard du Monde et Stéphane Durand-Souffland du Figaro. Tout y est. La justice qui s’affole, qui se trompe, qui s’embourbe. Mais aussi celle qui se grandit parce qu’elle respecte les accusés, ou parce qu’elle réussit, à force d’entêtement, à débusquer le mensonge, la duplicité et les manoeuvres d’avocats pour dire le droit au nom des victimes.
J’étais assis, lors de la première journée du procès de Tarnac, aux côtés des deux auteurs. J’ai repensé au sentiment de vigilance tranquille qui se dégage de leur ouvrage. Leurs récits respirent la confusion, le questionnement face aux prévenus, le respect pour le travail minutieux des enquêteurs et, au bout du compte, le risque permanent d’erreur. On pense à leur portrait de François-Marie Banier, accusé d’avoir abusé de la vieille milliardaire Liliane Bettencourt. On pense à leur description, au vitriol, de ces «avocats d’associations» qui militent en se portant parties civiles. A de rares exceptions près, affirment les auteurs, ceux-ci «ne connaissent le dossier que de manière très superficielle».
Face à ce miroir national et républicain qu’est la justice, la priorité va au récit des faits, souvent contradictoires, jusqu’au dénouement ultime du jugement. Le reflet donné par Jours de crimes est d’abord une terrible, douloureuse, leçon d’humanité.
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